Eugene avec WalterDans une interview avec Bernard Meillat en 1987, Istomin raconta l’histoire de son enregistrement du Concerto de Schumann avec Bruno Walter.
« En 1958, je jouais le Concerto de Schumann dans une série de concerts avec Bernstein et l’Orchestre Philharmonique de New York. Il était question de faire aussi l’enregistrement, car nous étions tous les deux artistes exclusifs Columbia. Et cela devait être couplé avec le Deuxième Concerto de Chopin que je m’apprêtais à enregistrer avec l’Orchestre de Philadelphie et Ormandy. J’étais très ami avec Bernstein mais nous n’avions encore rien enregistré, même si nous avions déjà joué ensemble (Souvenez-vous de mes débuts avec l’Orchestre Philharmonique de New York !). Il était mon aîné de sept ans, nous nous étions connus au Curtis Institute. Il était déjà génial ! On n’était pas vraiment intimes, mais nous avions une grande affection réciproque.
WalterColumbia trouvait que l’association Istomin-Bernstein n’était pas très sexy pour le disque. Bernstein-Gould, deux personnalités flamboyantes, c’était parfait ! Mais Istomin et Bernstein, c’était un peu comme rosbeaf et compote de mangue. John Mc Clure, qui était le directeur artistique de Bruno Walter depuis plusieurs années, pensa que c’était une bien meilleure idée de m’associer à lui. J’avais cette image d’être un lien entre les générations, d’avoir déjà recueilli la grande tradition de Casals et de Busch. John Mc Clure a envoyé à Bruno Walter le premier disque de piano solo que j’avais enregistré pour Columbia, en 1951, les Variations Haendel de Brahms. Walter, qui était lui-même un grand pianiste, ne dirigeait que très rarement des concertos pour piano en concert. Au disque c’était encore plus rare, il n’en avait enregistré qu’un, le Concerto l’Empereur de Beethoven, en 1934 avec Gieseking à Vienne et en 1941 avec Serkin à New York. Walter a répondu très vite par une carte postale que j’ai gardée : « J’ai écouté. Je comprends pourquoi Casals a été enthousiasmé par ce jeune pianiste. Je suis prêt à enregistrer tout ce que vous voulez avec lui. » C’est ainsi que nous avons fait le Schumann. C’était très facile de travailler avec lui car, comme Casals (ils avaient le même âge), les problèmes d’ego et de vanité étaient depuis longtemps dépassés, tout était simple. Il était très content de l’enregistrement, il m’a dit en allemand qu’il le trouvait « streng aber frei » (fort mais libre). Après, il aurait voulu enregistrer d’autres concertos et il m’a parlé du Premier de Brahms et du ré mineur de Mozart, mais je n’ai pas pu accepter. Je n’étais pas prêt. Je lui ai dit que c’était une trop grande responsabilité. C’était stupide en termes de carrière, mais c’était honnête et je ne le regrette pas… Quelques années plus tard, je l’aurais fait volontiers, mais il n’était plus là. »

Enregistrement 

Schumann, Concerto. Orchestre Symphonique Columbia. 20 et 25 janvier 1960.

Musique

Schumann, Concerto pour piano et orchestre en la mineur opus 54 : premier mouvement.

Eugene Istomin, piano. Orchestre Symphonique Columbia. Enregistré les 20 et 25 janvier 1960. Edité par Columbia, CBS puis Sony.