Tortelier et sa famille à Prades en 1952

Tortelier et sa famille à Prades en 1952

Eugene Istomin fit la connaissance de Paul Tortelier à Prades au Festival Bach de 1950. Tortelier avait une véritable vénération pour Casals. Dans son Autoportrait, il évoquait ses souvenirs de ce premier festival auprès de Casals : « Je n’oublierai jamais la profondeur de sentiments qu’il apporta, au cours d’une répétition du mouvement lent du Premier Concerto Brandebourgeois dans le dialogue poignant entre le hautbois et le violon. Ce que j’ai ressenti est inexprimable. Ce fut le plus haut moment de ma vie musicale. (…) Les larmes me vinrent aux yeux, nous étions tous aussi émus. Peu s’en fallait que je m’agenouille devant Casals, comme je l’eusse fait devant Bach dont l’esprit nous était ainsi révélé. » Tortelier revint à Prades les trois années suivantes, comme violoncelle solo de l’orchestre et pour participer à quelques concerts de musique de chambre. En 1955, il ne put être présent car il avait décidé de passer une année entière avec toute sa famille en Israël, dans un kibboutz.

Lorsque Eugene Istomin et Madeline Foley vinrent parler à Casals de la programmation du festival 1956, ils suggérèrent que l’on confie à Tortelier une œuvre importante, une suite de Bach ou une sonate, en plus de sa participation aux Sextuors de Brahms ou au Quintette de Schubert. Cela leur semblait naturel, étant donné l’estime que lui portait Casals et la fidélité dont Tortelier avait fait preuve. Mais Casals ne l’entendit pas de cette oreille, imaginant que ses deux directeurs artistiques le considéraient comme trop vieux et s’arrogeaient le droit de lui retirer des œuvres et de prévoir sa succession. Il refusa tout net. Et cette dispute provoqua le départ d’Istomin et de Madeline Foley. Pour Istomin la brouille fut de très courte durée. Il retrouva Casals à Porto Rico dès 1957, mais il n’aura pas l’occasion de revenir au Festival de Prades avant 1965.   

Tortelier en 1976

Tortelier en 1976

Paul Tortelier ne sut rien de cette discussion. Son chemin ne croisa que rarement celui d’Istomin, jusqu’au printemps 1980. Istomin, Stern et Rose devaient participer à un grand festival Brahms, mêlant musique de chambre et concertos, avec le Detroit Symphony sous la direction d’Antal Dorati. Malheureusement, Rose se blessa au bras droit quelques jours avant. Il fallut modifier le programme en dernière minute et appeler d’urgence un autre violoncelliste. Istomin et Stern demandèrent à Paul Tortelier, qui ne s’était plus produit aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années, et qui arriva en toute dernière minute. Tortelier, toujours aussi imprévisible, réussit à faire rire le public et à abasourdir Istomin avant même d’avoir joué une seule note ! Installé juste devant le piano pour jouer la Première Sonate de Brahms, il se retourna pour toiser l’immense Steinway, couvercle grand ouvert, et fit semblant de prendre peur ! Il prit son pupitre et sa chaise et vint s’installer tout au bord de la scène, comme s’il voulait être sûr que le public l’entende ! Cela n’en fut pas moins une belle interprétation, qui fut chaleureusement applaudie. Quant au Premier Quatuor avec piano qui clôturait le concert, Jaime Laredo venant rejoindre Stern, Tortelier et Istomin, ce fut un triomphe ! C’est ainsi que Tortelier devint le troisième violoncelliste avec lequel Istomin ait joué, après Casals et Rose…

Document

J.S. Bach. Suite pour violoncelle seul n° 1 en sol majeur BWV 1007, Prélude. Paul Tortelier. Un enregistrement réalisé en juillet 1990 en l’Abbaye Saint-Michel-de-Cuxa, pour célébrer le quarantième anniversaire du Festival de Prades.