Van CliburnVan Cliburn avait remporté le Concours Leventritt en 1954, alors qu’il avait tout juste vingt ans.  Cela avait été un concours d’un niveau exceptionnel, les autres finalistes étant Claude Frank et John Browning. Eugene Istomin faisait partie du jury. Il fut séduit par la perfection du jeu de Van Cliburn dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Serge Rachmaninov et il vota pour lui, malgré les remarquables prestations de Browning et les évidentes qualités de musicien de Claude Frank.

Van Cliburn avait alors commencé sa carrière sans éveiller un intérêt particulier de la part du public, de la presse musicale ou des maisons de disque, jusqu’à ce qu’il remporte spectaculairement le premier Concours Tchaikovsky en 1958. Ce triomphe eut un retentissement considérable, en pleine Guerre froide, alors que tout le monde s’attendait à ce que les pianistes soviétiques dominent le concours. Il fut accueilli en héros, avec une ticker-tape parade dans les rues de New York. Time Magazine lui consacra sa couverture, la télévision l’invita, RCA lui fit signer un contrat d’exclusivité, les organisateurs de concert se précipitèrent… Van Cliburn était devenu une attraction. Son disque du Premier Concerto de Tchaikovsky, enregistré aussitôt après le Concours, battit tous les records de vente en dépassant le million d’exemplaires.

Istomin était fier de ce triomphe en terre soviétique, qui prouvait l’excellence des pianistes américains. L’impact de l’événement le confirmait aussi dans l’idée qu’il était essentiel de ne pas laisser le champ libre à l’URSS dans le domaine  de l’art, et que c’était une arme de propagande essentielle en ces temps de Guerre froide. Il lutta longuement pour convaincre les administrations américaines successives de cette nécessité.

Par ailleurs il s’inquiétait des effets négatifs qu’une telle starisation risquait d’avoir sur Van Cliburn lui-même. Quelque mois à peine après son succès au Concours Tchaïkovsky, il fut décidé de créer un concours à son nom, dont la première édition eut lieu en 1962. Une telle démarche saluait en général un grand musicien disparu, ou en toute fin de carrière. Lui n’avait que vingt huit ans…  Modeste, Van Cliburn essaya de convaincre ses admirateurs de relativiser l’importance de son rôle et de sa personne : « Je vous suis reconnaissant, plus encore que vous ne l’imaginez, de l’honneur que vous me faites, mais ce qui me fait le plus plaisir c’est l’honneur que vous faites à la musique classique. Car je ne suis qu’un musicien parmi beaucoup d’autres. Je suis seulement un témoin et un messager. »

Van Cliburn et Obama. 2011

Van Cliburn et Obama. 2011

Pourtant, cette avalanche d’honneurs, de curiosité et de sollicitations, finit par le troubler et par le faire renoncer à jouer en public alors qu’il n’avait que quarante quatre ans. Il s’essaya à la direction d’orchestre, et tenta plusieurs come back sans lendemain. Chaque président des Etats-Unis, jusqu’à Obama, souhaita l’inviter à jouer à la Maison Blanche et on continua régulièrement de lui rendre hommage. Pour Istomin, cette prison dorée, le poids ineffaçable du Concours Tchaïkovsky qui ne cessa de peser sur sa carrière et sur sa vie, était une tragédie.

Les conséquences sur la vie musicale américaine furent également importantes. L’une s’avéra favorable à l’ensemble des interprètes : les cachets de Van Cliburn s’étant envolés, ceux des autres pianistes ont sensiblement augmenté aussi. Mais d’autres conséquences négatives sont aussi apparues : l’aggravation et la généralisation du star sytem, avec en outre le sentiment qu’on pouvait désormais gagner beaucoup d’argent en programmant des concerts ou en publiant des disques. Cela contribua à éloigner encore les firmes discographiques et les institutions américaines de priorités réellement musicales.

Document

Hommage lors de la disparition de Van Cliburn en 2013