Browning 1A l’occasion du soixante-quinzième anniversaire d’Istomin, voici ce que John Browning écrivit : « Cela fait plus de trente ans que je connais Eugene. Bien sûr c’est un pianiste et un musicien exceptionnel. Mais Eugene est, au-delà de ses dons remarquables, un ami et un collègue extraordinairement attentionné. Il s’inquiète toujours du bien-être des autres – de leurs besoins et de leurs problèmes – et il est toujours à la recherche de solutions pour améliorer le statut du musicien et le monde musical. »
Cette estime et cette affection étaient absolument réciproques. Istomin, qui avait décidé de ne jamais jouer de Prokofiev, avait été néanmoins conquis par l’intégrale des Concertos pour piano que John Browning avait enregistrée avec Erich Leinsdorf. Il admirait plus encore son investissement total dans l’œuvre de Samuel Barber et ses interprétations à la fois idiomatiques et très personnelles d’œuvres aussi différentes que les sonates de Scarlatti, le Concerto pour la main gauche de Ravel, les Variations Diabelli de Beethoven ou les Etudes de Chopin.
John Browning participa tout naturellement à l’aventure du Concours William Kapell. En 1987, Istomin l’invita à faire partie du jury et à donner un récital. Leurs conceptions de la musique et de la carrière étaient proches. Tous deux déploraient les artifices des enregistrements modernes, truffés de montage et sans vie. Ils en étaient venus à regretter le temps des 78 tours, quand il était impossible de tricher. Ils avaient le sentiment que les jeunes pianistes manquaient de conviction musicale et de technique, que loin de s’améliorer, comme on l’entend dire souvent, le niveau général baissait.
Browning

En conclusion d’une interview donnée à Bruce Duffie, John Browning définissait le rôle de l’interprète en des termes qu’Istomin n’aurait certainement pas renié : « Bien sûr, l’œuvre et les compositeurs doivent rester le plus important, mais l’artiste est la voix, le messager, et la musique ne peut naître qu’à travers le messager, et avec sa conviction, sinon cela ne marche pas. Elle ne vit que sous les doigts de l’artiste, qui la recrée. Ce qui est le plus difficile dans l’art de l’interprétation, c’est d’arriver au point où on sent à la fois qu’on comprend le compositeur et qu’on peut aussi être soi-même, qu’on n’est pas l’esclave du compositeur. Ce n’est pas suffisant de juste accepter que Schubert ait écrit forte à cet endroit. Il faut se demander pourquoi il a écrit forte. Si on a conscience de cela, alors on sera vraiment en mesure de savoir quelle sorte de forte on va faire. Il y a un point où on sent qu’on est assez intime avec le compositeur pour avoir une idée assez précise de ce qu’il veut. »

Document

John Browning donne une master class sur le Premier Concerto de Brahms.