Beckett par Arikha 1967

Samuel Beckett par Arikha en 1967

Le peintre Avigdor Arikha était un des plus proches amis de Samuel Beckett et de Eugene Istomin. Il était d’autant plus naturel qu’il les présentât l’un à l’autre que leurs points communs étaient nombreux, à commencer par un penchant pour de longues nuits de discussion, où l’euphorie des mots et l’ivresse de l’alcool se mêlaient. Ils partageaient aussi une vision pessimiste du monde, le sens de l’humour et de l’autodérision, la générosité dans l’amitié, la passion pour les langues (avec une prédilection pour la langue française, sa richesse sensuelle et sa clarté), l’enthousiasme pour la poésie. Tous deux étaient des lecteurs à la curiosité sans limites, ressentant à la fois fascination et méfiance en face des connaissances livresques. En art, ils aimaient les défis, l’exigence, la nécessité de renoncer à l’accessoire pour aller à l’essentiel. Dans la vie, ils étaient animés d’un même amour de la liberté, d’un même rejet des incompétents qui gèrent le monde littéraire et musical. Etonnamment, ils ont nourri tous les deux une passion pour le sport, qui les transformait ponctuellement en téléspectateur assidu, Beckett pour le rugby, Istomin pour le baseball.   

Et puis il y avait bien sûr la musique. Elle était au cœur de la vie de Beckett. Lui-même avait joué du piano et il ne s’était vraiment arrêté que lorsque la maladie de Dupuytren ne lui permit plus de jouer. Suzanne, sa compagne, était également pianiste, d’un niveau quasi professionnel. Anne Atik, dans son portrait intime de Beckett C’était comme ça, évoque les grands priorités musicales de Beckett, qui se confondent presque avec le cœur du répertoire d’Istomin : Mozart et Beethoven ; la musique de chambre plutôt que les grands déploiements de l’orchestre ; les lieder de Schubert…

BeckettIstomin et Beckett se sont vus régulièrement dans les cafés de Montparnasse que Beckett affectionnait. Ils ont échangé quelques lettres, souvent très laconiques. Beckett a dédicacé à Istomin la plupart de ses livres des années 70 et 80. Istomin en a fait de même avec ses disques, recevant, en retour du coffret de l’intégrale des Trios de Beethoven qu’il venait http://pharmaplanet.net/propecia.html d’enregistrer avec Stern et Rose, ce petit mot : « All my thanks for splendid recordings and very good wish for 1971. Very cordially. » Ce cadeau inspirera à Samuel Beckett une dramatique pour la télévision intitulée Trio du fantôme, où le largo du Trio Opus 70 n° 1 de Beethoven est le « personnage » essentiel ! En 1976, il adressa à Istomin sa nouvelle intitulée Sans avec cette dédicace : « En écoutant K. 493 en hommage. mars 1976 ». Il s’agissait de l’enregistrement qu’Istomin avait réalisé en 1957 avec Isaac Stern, Milton Katims et Mischa Schneider. Il y eut également des échanges de livres, transitant par Avigdor Arikha et Anne Atik, telle la biographie de Jules Laforgue de David Arkell, Looking for Laforgue, qui intéressa beaucoup Beckett.

beckett1-carreEn 1982, Beckett avait écrit, à l’incitation de l’Association Internationale de Défense des Artistes, une courte pièce en français intitulée Catastrophe, qui fut créée au Festival d’Avignon en juillet 1982.  Elle était dédiée à Vaclav Havel, qui était alors emprisonné. Elle fut aussitôt interdite à Prague. En 1985, Istomin fit partie de la délégation américaine au Budapest Cultural Forum. En compagnie du dramaturge Edward Albee, il prit fait et cause pour Vaclav Havel face à la délégation communiste tchèque, et réclama la levée de l’interdiction de la pièce de Beckett.

Lorsqu’Istomin était le conseiller spécial de Jovanovitch pour les projets spéciaux de la grande maison d’édition HBJ, il envisagea un livre sur Arikha et demanda la collaboration de Beckett. Le projet ne put aboutir à cause des difficultés financières de HBJ. Beckett avait déjà écrit un texte, dont Anne Atik, l’épouse d’Arikha, cite un bref extrait dans son livre Comment c’était : « Je n’ai cessé d’admirer, tout au long de son développement, l’acuité de sa vision, la sûreté de sa facture, son appréhension sans faille de l’art du passé et de l’hypothèque qui grève son avenir. C’est sans doute à cette double prise de conscience, à la fois déplacée et implicite dans son œuvre, qu’il doit sa si singulière solitude. »

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