Les souvenirs d’Emanuel Ax

Ax jeune recadré« La première fois que j’ai vu Eugene Istomin, j’avais treize ans. Des gens merveilleusement serviables m’avaient emmené au Festival de Marlboro où il était en résidence. Il était déjà mondialement connu. De ces deux ou trois jours j’ai gardé deux souvenirs – il travaillait avec beaucoup d’application et de concentration et il avait cuisiné un repas indien sur lequel tout le monde s’était extasié (j’étais trop jeune alors pour apprécier quoi que ce soit d’autre que des frites). Après cette expérience initiale, je l’ai entendu un nombre incalculable de fois pendant mes années d’étude, car il jouait régulièrement à Carnegie Hall comme soliste, en récital, ou comme membre du trio de stars Istomin-Stern-Rose.

Notre rencontre suivante, ce fut après un concours de piano [le Concours Rubinstein à Tel Aviv en 1974] que j’ai eu la chance de remporter et où M. Istomin faisait partie du jury. C’est là que j’ai appris à connaître son franc-parler : il m’a félicité et en même temps il m’a fait prendre conscience de la somme de dur labeur et de réflexion qu’il me faudrait mettre en œuvre si je voulais devenir ce qu’il appelait un OYAP, un Outstanding Young American Pianist. J’en profitai pour lui demander immédiatement des leçons de piano, et il accepta sur le champ. A mon retour à New York, je l’ai appelé et il m’a dit de venir à son appartement sur Central Park West – mais pas avant que le dernier coup de batte du match des Detroit Tigers n’ait été donné. Quand j’arrivais un peu en avance, j’avais juste à attendre que le match soit fini.

Ces leçons sont toujours présentes en moi, et une part essentielle de ma conception de la musique de Beethoven vient de ses commentaires lumineux à propos de la Sonate Waldstein, que j’avais jouée pour lui. Il avait un profond respect de la partition, mais son imagination n’en était nullement entravée, elle était plutôt entraînée vers des hauteurs encore plus élevées. C’est cela, je crois, qui fait la vraie grandeur d’un artiste : la capacité à donner naissance à une grande interprétation en se servant de la partition comme d’un guide, pas comme d’un carcan. Istomin était l’exemple parfait d’une telle attitude, et cela lui permit http://pharmacie-ed.net/Viagra.html d’être un grand interprète à la fois de Beethoven et Bach à Chopin et Rachmaninov. Il était si précoce qu’il était pour ainsi dire un enfant prodige. Il a gagné le prestigieux Concours Leventritt et fait ses débuts avec le New York Philharmonic et avec l’Orchestre de Philadelphie, car il était déjà mûr à l’âge de 17 ans. Cependant son cheminement artistique a toujours été marqué par un sérieux et un engagement absolus. Ce fut un privilège pour moi de mieux le connaître dans les années qui ont suivi, de profiter de la richesse de sa conversation et de son sens de l’humour, mais cela n’a jamais atténué le respect mêlé d’admiration que j’avais ressenti lorsque je le voyais sur la scène de Carnegie Hall pendant toutes ces années. Son talent et la sagesse de ses paroles sont entrés dans la vie de ses collègues, et il restera toujours dans l’histoire des grands pianistes. »
(Lettre écrite à l’occasion du 75ème anniversaire d’Istomin).
Ax 3 001

De son côté Istomin avait la plus grande estime pour Emanuel Ax. Lui qui n’aimait guère participer à des jurys s’était trouvé au Concours Reine Elisabeth lorsqu’Emanuel Ax avait fini à la septième place, puis au Concours Rubinstein où il avait été très heureux de son succès. Il se sentait proche de lui. Emanuel Ax a mené sa carrière avec le même idéal et les mêmes passions. Il voulait lui aussi être reconnu comme un grand interprète à la fois de Beethoven et de Chopin, de Schumann et de Ravel, de Mozart et de Rachmaninov. Il entendait aussi mener de front carrière de soliste et musique de chambre. Certains préjugés ayant fini par s’estomper, Emanuel Ax y est sans doute mieux parvenu qu’Istomin, pour la plus grande satisfaction de son aîné.
Par ailleurs, ils partageaient aussi une affection pour la langue et la culture française, et un goût prononcé pour le sport (Emanuel Ax réussissant à concilier les deux lorsqu’il assiste aux Internationaux de tennis de Roland Garros !). Voir Emanuel Ax enregistrer les Danses Symphoniques de Rachmaninov avec Yefim Bronfman, qui fut aussi son élève, aurait certainement ravi Eugene Istomin.

Document

Emanuel Ax évoque les possibilités pianistiques de Beethoven…