06.1962. Polski dyrygent Jerzy Semkow. PAP/BaraczDisparu en décembre 2014 après une longue et riche carrière, Jerzy Semkow fut un des amis les plus proches et les plus fidèles d’Istomin. Tous deux partageaient le souci de la perfection, une réticence pour les fausses valeurs du milieu musical, une passion pour la littérature et un amour de la France, qui avait mené Jerzy Semkow à devenir citoyen français. En 2006, il avait confié à Bernard Meillat ses souvenirs sur Eugene Istomin…

« Nous nous sommes rencontrés à Sofia en 1963. J’étais malade. J’avais le visage douloureux et gonflé à cause d’une sinusite. Il avait même fallu me faire une ponction, car c’était un concert télévisé ! Eugene m’avait réconforté avec beaucoup de gentillesse… Quand on le rencontrait pour la première fois, on pouvait avoir le sentiment d’un personnage très strict, d’allure presque professorale. Mais on ne tardait pas à découvrir un homme de cœur, très chaleureux, d’une sensibilité extraordinaire. C’était un personnage fascinant. Il appartenait à la vieille école, à l’école noble. Il faisait penser à Gatsby le magnifique de Fitzgerald. Il assumait ses contradictions. Par exemple, il critiquait férocement la vie moderne mais en même temps il ne pouvait bien vivre qu’au cœur de l’agitation de New York ou de Paris. Il était profondément attaché à la démocratie et à la liberté, mais il regrettait aussi qu’elles sombrent dans la démagogie, dans le nivellement par le bas, dans le renoncement à éduquer : ‘Le peuple réclame de la merde ! Qu’on lui en donne !’

Il lui arrivait de m’appeler de l’autre bout du monde, simplement pour me lire les poèmes qu’il venait de découvrir ou de redécouvrir. Eugene avait une intelligence exceptionnelle et une curiosité sans limites. Dans ses dernières années il s’était intéressé à l’astronomie et je m’y suis mis aussi, emmenant partout le petit traité qu’il m’avait conseillé, et goûtant la poésie de l’univers grâce à lui.

beethoven-SemkowAprès l’avoir entendu à Sofia, j’étais si enthousiasmé que j’ai parlé de lui aux responsables musicaux polonais, et suggéré de l’inviter. Je n’ai pas eu de peine à les convaincre car, malgré le rideau de fer, ils le connaissaient et savaient qu’il était l’un des plus grands pianistes de ce temps. Cependant les complications politiques étaient telles qu’il a fallu attendre plus de dix ans pour qu’il puisse venir à Varsovie donner un récital et jouer le Concerto l’Empereur sous ma direction (l’enregistrement public a été édité en microsillon par Polskie Nagrania). Quelques années plus tard nous y avons donné le Deuxième Concerto de Brahms. A la fin des années 70, nous avions envisagé de jouer la Symphonie Concertante de Szymanowski, à Varsovie et aux Etats-Unis, et même de l’enregistrer, mais cela ne s’est pas fait. Je n’étais pas non plus très enthousiaste. Le début de l’œuvre est fantastique, phénoménal ! Mais la fin se perd un peu dans les danses populaires… L’orchestration est très riche, trop riche même, et il faut beaucoup de répétitions pour équilibrer le piano et l’orchestre.

Par la suite, j’ai eu souvent l’occasion de diriger Eugene aux Etats-Unis, dans des concertos de Beethoven, de Chopin, et de Mozart. J’ai beaucoup regretté qu’il ait dû annuler le concert que nous devions donner en juin 1997, le Concerto K. 467 de Mozart avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Cela aurait été notre dernier concert ensemble. Les plus grandes émotions musicales qu’il m’a données, c’était lorsqu’il acceptait de jouer pour quelques amis, ce qui était très rare. Je garde un souvenir émerveillé de la Sonate en ré majeur de Schubert ou de la Sonate K. 576 de Mozart.

Semkow 1Eugene n’a pas eu la fin de carrière qu’il méritait. Il n’était pas assez excentrique pour les médias et pour le grand public. En fait si la carrière de Eugene s’est écartée des plus hauts sommets, c’est tout simplement parce qu’il détestait les managers et les incompétents du monde musical, et qu’il le leur montrait trop bien. Aux Etats-Unis tout passe par les managers. Il en a changé plusieurs fois mais il n’a jamais pu s’entendre avec eux. Ils ne parlaient pas le même langage. La musique était de plus en plus soumise aux lois du marché. L’artiste était devenu une marchandise. Dès les années 70, alors qu’il avait à peine cinquante ans, il me disait : ‘Je suis trop vieux pour m’engager dans cette bataille’. Ce qui m’a beaucoup touché aussi, c’est la dignité de Eugene dans la maladie, sans jamais se plaindre ni renoncer. »

Quelques concerts

1971, 19 fevrier. Carnegie Hall. Chopin, Concerto n° 2. Cleveland Orchestra.

1976, 18 & 19 juin. Philharmonie de Varsovie.  Beethoven, Concerto n° 5. Orkiestra Sympfonicsna Filharmonii Narodowej.

1977, 12 & 14 mai. Saint Louis, Powell Hall. Mozart, Concerto n° 21. Saint Louis Symphony.

1977, 11 juillet. San Juan de Puerto Rico.  ?

1987, 19 & 21 mars. Rochester, Eastman Theater. Beethoven, Concerto n° 4. Rochester Philharmonic.

1989, 9 & 11 mars. Rochester, Eastman Theater. Beethoven, Concerto n° 5. Rochester Philharmonic.

Musique


Beethoven, Concerto n° 5 en mi bémol majeur op. 73 « L’Empereur » : deuxième et troisième mouvements. Eugene Istomin, piano. Orkiestra Sympfonicsna Filharmonii Narodowej. Jerzy Semkow. 18 ou 19 juin 1976. Philharmonie de Varsovie. Enregistrement de la Radio Polonaise publié par Polskie Nagrania