Mehta 1Istomin a joué pour la première fois sous la direction de Zubin Mehta en Israël en 1963, pour une série de neuf concerts avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël. Quelques années plus tard, alors qu’il était venu jouer sous sa direction avec l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles, Istomin parla longuement de Mehta dans une interview au Los Angeles Times : « Zubin Mehta me semble être le plus grand talent parmi les jeunes chefs avec lesquels j’ai travaillé ». Il faisait aussi part de son inquiétude quant à son évolution future : « Zubin court le monde, dirigeant partout. Où est le temps pour la réflexion, pour l’étude? Le grand danger d’avoir un si grand succès si jeune est que l’on peut se brûler soi-même. Dans ma propre carrière j’ai essayé de prendre les choses lentement et prudemment. » Istomin avait probablement raison, mais Mehta avait été certainement contrarié de lire cette remarque qu’Istomin lui avait déjà faite en tête-à-tête. Il avait fait le même reproche à Daniel Barenboïm, et les deux jeunes musiciens lui en ont tenu rigueur. Barenboïm ne l’invitera jamais. Quant à Zubin Mehta, il n’y aura plus que quelques rares collaborations, dont une seule avec l’Orchestre Philharmonique de New York, dont Mehta fut le directeur musical pendant treize ans. C’était en juin 1980, lors d’un festival Beethoven. Leighton Kerner, le critique du New York’s Village Voice fut très sévère: « Zubin Mehta était en ville pour le concert suivant de cette parodie de festival. Une équipe de paparazzi de la télévision était à l’œuvre pour filmer sa Symphonie héroïque, visuellement séduisante mais musicalement terne. Mehta gâche le talent de ses musiciens avec une interprétation qui semble éviter constamment d’être une interprétation. Les grandes tensions, les grincements de la partition étaient édulcorés comme si Karajan dirigeait en pilotant à distance depuis Berlin. Plus tôt dans le programme, Eugene Istomin mit autant de feu que de lyrisme dans le Troisième Concerto pour piano, et Mehta lui offrit un accompagnement décent, mais pas vraiment poétique. »
Le plus grand regret d’Istomin aura été qu’à partir du moment où Zubin Mehta est devenu directeur musical de l’Orchestre Philharmonique d’Israël, il n’ait plus jamais été réinvité. C’était pour lui une grande tristesse de ne plus retrouver ces musiciens et ce public incomparables. De son côté, Istomin contribua à inviter Zubin Mehta chaque fois qu’il en eut l’occasion, en particulier au Festival Casals de Porto Rico et aux Primeras Jornadas Internacionales Casals de Mexico en 1976. Leurs relations restèrent toujours très courtoises.

Grandes Conversations en musique

Siena 12/7/03 - ACCADEMIA MUSICALE CHIGIANA-60^Settimana Musicale Senese-Concerto in Piazza del Campo dell'Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino diretta dal M° Zubin Mehta. Photo Pietro Cinotti/Siena©2003

Mehta accepta volontiers en 2002 l’invitation d’Istomin à ses Grandes Conversations en Musique sous l’égide de la Library of Congress. Interrogé sur les influences réciproques de la musique européenne et de la musique américaine, et de la musique indienne, Mehta estime qu’autrefois les échanges n’existaient que de l’Europe vers l’Amérique et que maintenant c’est le contraire, à cause du jazz puis de la pop music. Les chauffeurs de taxi viennois écoutent du la country ou du rock, et ne connaissent plus guère Mozart et Schubert ! L’Inde, elle, vit centrée sur sa propre musique, et est très peu intéressée par les musiques des autres continents. Mehta se souvient avoir créé avec Ravi Shankar son Deuxième Concerto pour sitar et orchestre. L’intérêt et le succès furent considérables en Amérique et en Europe, mais ce fut un désastre en Inde ! La Corée et la Chine, en revanche, s’intéressent beaucoup à la culture occidentale, et même la Corée du Nord où Mehta a découvert qu’un orchestre était capable de jouer la Quatrième Symphonie de Tchaïkovsky sans partition, par cœur ! Les orchestres américains et européens sont très proches maintenant, par le mélange grandissant des nationalités et des cultures. Une des choses dont Mehta est le plus heureux et le plus fier, c’est son long compagnonnage avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël, depuis 1968 ! En revanche son grand regret est que les accords de paix n’aient pas abouti entre Israël et la Palestine, et qu’on ait aujourd’hui le sentiment d’une haine exacerbée, inextinguible.
Musicalement il regrette que les jeunes chefs d’aujourd’hui n’aient plus conscience des relations des tempos à l’intérieur d’une œuvre. C’est le plus important, c’est ce qui donne à la musique son souffle ! Evoquant le travail effectué à New York pendant ses treize années de direction musicale, il garde l’amertume de l’attitude systématiquement négative des critiques à son égard, et de leur incompétence. Même son bilan remarquable en ce qui concerne la musique contemporaine est passé sous silence…

Concerts

1963, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 27, 30 mai. Mann Auditorium de Tel Aviv ; Haïfa. Schumann, Concerto. Orchestre Philharmonique d’Israël.
1963 29 mai. Mann Auditorium de Tel Aviv. Beethoven, Concerto n° 4. Orchestre Philharmonique d’Israël.
1968, 17, 21 & 22 novembre. Chandler Pavilion. Beethoven, Concerto n° 4. Los Angeles Philharmonic Orchestra.
1978, 29 août. Hollywood Bowl. Beethoven, Concerto n°4. Los Angeles Philharmonic Orchestra.
1980, 22 mai. Avery Fischer Hall. Beethoven, Concerto n° 3. New York Philharmonic. Concert enregistré. 1982, 30 juin. Dell Music Center. Brahms, Concerto n° 2. Philadelphia Orchestra.

Musique

Beethoven, Concerto n° 3 en ut mineur op. 37 : premier mouvement. Eugene Istomin, piano. Orchestre Philharmonique de New York. Zubin Mehta. Lincoln Center, 22 mai 1980