Istomin, Pennario, Bernstein et Rodzinski à New York en 1943

Istomin, Pennario, Bernstein et Rodzinski à New York en 1943

Lorsque Eugene Istomin remporta le Concours Leventritt en octobre 1943, le premier prix était tout simplement un concert avec l’Orchestre Philharmonique de New York. Ce concert étant radiodiffusé le dimanche après-midi dans tous les Etats-Unis, pour quelque huit millions d’auditeurs, cela suffisait à lancer une carrière ! Artur Rodzinski, le directeur musical de l’Orchestre, avait demandé au jeune pianiste quel concerto il souhaitait jouer, et il avait été stupéfait de la réponse : le Deuxième Concerto de Brahms ! En effet, c’était une œuvre dont on n’imaginait pas à cette époque, et même aujourd’hui, qu’elle puisse être abordée de façon convaincante par un jeune pianiste à la veille de ses dix-huit ans. Perplexe, Rodzinski lui proposa de venir à une répétition de l’Orchestre. Il confia la baguette à son assistant, Leonard Bernstein, et il s’installa, seul dans Carnegie Hall, pour écouter. Il n’eut besoin que du premier mouvement pour donner son accord…
Ce dimanche 21 novembre 43, un peu désarçonné par un changement de piano inopiné entre la répétition générale et le concert, perclus de trac, Eugene Istomin n’avait pas aussi bien joué qu’il en était capable. Rodzinski, lui, était très satisfait, et il s’empressa de le réinviter pour jouer le Quatrième Concerto de Beethoven au mois de décembre de l’année suivante, qui fut un immense succès publique et critique. Si bien que Rodzinski lui proposa de revenir en octobre 1946 jouer le Concerto l’Empereur, qu’il venait tout juste d’apprendre !
Rodzinski fit plus encore. En date du 7 janvier 1947, il écrivit une lettre de recommandation à ses collègues des autres grands orchestres américains (Koussevitsky, Monteux, Szell, Golschmann, Mitropoulos, Dorati…) pour leur suggérer de l’inviter : « Pendant les deux années écoulées, un jeune pianiste, EUGENE ISTOMIN, a joué avec l’Orchestre Philharmonique de New York. Il a un grand talent. J’ai une si haute opinion de lui que j’ai recommandé à notre Conseil de le réengager pour la prochaine saison. Sachant que vous êtes toujours à la recherche des meilleurs solistes pour votre propre orchestre, je vous le recommande vraiment très chaleureusement. Vous apprécierez de travailler avec lui,  car c’est un bel artiste qui fait déjà preuve d’une grande maturité, malgré son jeune âge. Je vous envoie mes meilleurs vœux pour la nouvelle année. » C’était une preuve éclatante de la confiance que Rodzinski avait dans le talent d’Istomin, et une démonstration de générosité inouïe, à la hauteur de la grandeur d’âme de ce chef.

Rodzinski 3Rodzinski avait été l’un des chefs les plus unanimement acclamés aux USA dans les années 30 et 40. C’était un formidable constructeur d’orchestre, au point que Toscanini lui avait confié en 1937 la mission de recruter et de préparer l’Orchestre que la NBC créait pour lui. Mais un conflit avec Judson, le personnage le plus puissant du monde musical américain, qui cumulait le rôle d’agent de tous les grands chefs et celui de manager de l’Orchestre Philharmonique de New York et de l’Orchestre de Philadelphie, entraîna son départ de New York en 1947. Pour améliorer la qualité de l’orchestre, il lui paraissait indispensable de se séparer de douze musiciens dont le premier violon. Devant le refus de Judson, il avait demandé au Conseil de choisir entre Judson et lui… L’année suivante, Judson le poursuivit de sa vindicte et obtint que son contrat avec Chicago ne soit pas renouvelé. Rodzinski en fut profondément affecté physiquement et moralement. Il poursuivit une carrière de chef invité, le plus souvent en Europe, mais il mourut prématurément en 1958. Eugene avait été marqué par cette aventure qui avait contribué à le convaincre du pouvoir absolu, absurde et cruel, des agents sur les musiciens. Trente ans plus tard, il en était encore révolté, répétant, incrédule : « Rodzinski a été broyé ! »

Tous les concerts

1943, 21 novembre. Carnegie Hall. Brahms, Concerto n° 2. New York Philharmonic. Concert enregistré.

1944, 9 & 10 décembre. Carnegie Hall. Beethoven, Concerto n° 4. New York Philharmonic. Concert enregistré.

1946, 19 octobre. Carnegie Hall. Beethoven, Concerto n° 5. New York Philharmonic.

Musique

Brahms, Concerto n° 2 en si bémol majeur op. 83 : le début

Eugene Istomin, Orchestre Philharmonique de New York, Artur Rodzinski. Carnegie Hall, 21 novembre 1943. Copie des acétates enregistrées en 78 tours en gravure directe. Le son est plus que précaire, mais c’est un document émouvant…