Ce n’est pas parce qu’il avait beaucoup de tendresse pour les films de série B, auxquels Reagan avait souvent participé, qu’Istomin manifesta de la sympathie pour ses idées politiques. Lorsque Reagan fut élu Président des Etats-Unis en 1980, Istomin avait même envisagé de quitter son pays, par dépit de voir son Amérique idéale sombrer dans un conservatisme inculte. Si Marta n’avait pas été nommée récemment directrice artistique du Kennedy Center, peut-être aurait-il réellement pris cette décision…

RaeganLes circonstances le conduisirent pourtant à accepter de jouer pour l’investiture de Reagan! Le 21 janvier 1981, Rudolf Serkin devait être le soliste du concert donné par le National Symphony au Kennedy Center en l’honneur du nouveau président. Quelques jours avant, Serkin fit savoir qu’il n’était pas en mesure de jouer. En fait, il n’était pas malade au point de ne pouvoir jouer mais il était en profond désaccord politique avec les idées de Reagan. Ses enfants l’étaient encore davantage et achevèrent de le dissuader de participer à un tel événement. En tant que directeur musical du National Symphony, Rostropovitch était chargé de diriger le concert et il était très embarrassé. Ayant appris qu’Istomin était disponible et venait de jouer le Concerto K. 467 de Mozart à San Francisco, il fit usage de toute sa persuasion et de toute sa séduction pour le convaincre de remplacer Serkin. A la fois par amitié pour Slava et par respect pour la fonction présidentielle, Istomin accepta, tout en indiquant clairement qu’il n’avait pas voté pour Reagan. Rostropovitch n’avait jamais eu l’occasion de diriger ce concerto célébrissime, et cela le rassurait de le préparer avec Istomin, qui vint aussitôt le jouer pour lui.

La situation devint plutôt cocasse lors de la visite de Nancy et de Ronald Reagan en coulisses avant le concert. Harold Schonberg, le célèbre critique de New York Times, était présent et se comporta à cette occasion comme s’il était depuis toujours un grand ami d’Istomin, alors qu’il avait démoli systématiquement toutes ses prestations depuis trente ans…

En première partie du concert, après l’hymne américain, Rostropovitch dirigea la musique de Korngold pour le film King’s Row, un mélodrame qui eut beaucoup de succès à sa sortie en 1942, et qui avait fait la célébrité de Reagan comme acteur. Le nouveau président et son vice-président, George Busch Sr, ne tardèrent pas à quitter le concert et n’entendirent pas le concerto de Mozart qui, d’après le critique du Washington Post, Paul Hume, avait été le grand moment de la soirée…

La culture en général, et la musique classique en particulier, n’était pas vraiment une priorité pour Reagan. Istomin sourit d’un air désolé lorsqu’on lui raconta qu’au G7 de 1982 Reagan s’était endormi en entendant Lully à l’Opéra Royal de Versailles et qu’il s’était ridiculisé par des remarques ineptes en venant saluer William Christie après le concert.

MUSIQUE

W.A. Mozart. Concerto n° 21 en ut majeur K. 467 : troisième mouvement du concerto que Ronald Reagan n’avait pas eu le temps d’écouter lors de sa soirée d’investiture…

Eugene Istomin, piano. Nouvel Orchestre Philharmonique de l’ORTF. Emmanuel Krivine. Paris, 29 juin 1977.