Eugenie Anderson DanemarkAu printemps 1963, le Département d’Etat avait proposé à Eugene Istomin une mission diplomatique : deux semaines-et-demie de concerts en Bulgarie. A Sofia, Istomin fut accueilli par Eugenie Anderson, la première femme nommée ministre plénipotentiaire de l’autre côté du Rideau de fer. Ce fut une rencontre décisive dans la vie d’Istomin, et le début d’une grande amitié.

Eugenie Anderson était une personnalité exceptionnelle à bien des égards. Elle était née en 1909 dans l’Iowa et avait pensé devenir pianiste professionnelle, venant étudier à New York au début des années 30 dans la future Juilliard School. C’est un voyage en Europe, en 1937, qui l’incita à se lancer dans la vie politique. Voir en Allemagne un pays totalitaire à l’œuvre, enrégimenter la population toute entière, même les enfants de cinq ans, la choqua profondément. En rentrant, elle s’inscrivit à la League of Women Voters, une organisation civique progressiste. Elle milita désormais pour faire prendre conscience aux Américains des dangers que les Nazis faisaient courir non seulement à l’Europe mais au monde tout entier. A partir de 1944, elle entra vraiment en politique, participant à la restructuration du Parti Démocrate dans le Minnesota.

En 1948, elle contribua à l’élection de Truman, qui remarqua ses qualités exceptionnelles et la nomma ambassadrice au Danemark en 1949. C’était la première femme américaine, et l’une des premières au monde, à occuper un tel poste. Elle s’y distingua, tant sur le plan diplomatique que sur le plan humain. Elle négocia un important traité de coopération et noua des relations cordiales avec la population danoise, appliquant ses principes : « La diplomatie n’est pas confinée aux hauts responsables. C’est l’affaire du peuple.” En six mois elle apprit le Danois, adopta le mode de vie simple des habitants, se déplaçant à bicyclette et multipliant les contacts avec l’ensemble de la population. Elle donna sa démission lorsqu’Eisenhower arriva au pouvoir au nom du parti républicain. Elle ne reprit de fonctions diplomatiques officielles qu’avec le retour des démocrates à la Maison-Blanche. En 1962, Kennedy décida de l’envoyer en Bulgarie où elle ne se laissa nullement impressionner par les intimidations du pouvoir communiste.

La venue d’un pianiste américain à Sofia était un événement inédit et les apparatchiks bulgares firent tout pour que ce soit un échec. En vain ! La diplomate et le pianiste firent front commun et s’entendirent admirablement pour mener à bien leur mission de communication culturelle. Une grande sympathie s’installa entre Eugenie Anderson et Istomin, sur le plan personnel, musical et politique. Eugenie Anderson avait partagé nombre de combats politiques, dans le Minnesota et au plan national, avec un des sénateurs démocrates les plus éminents, Hubert Humphrey. Elle eut l’intuition qu’Istomin et Humphrey devaient absolument se rencontrer, et elle organisa un déjeuner en novembre 1963 lors d’un de ses passages à Washington. Elle avait vu juste. Istomin fut conquis par la personnalité et par le discours politique d’Humphrey. Il s’engagea à ses côtés pendant les dix années qui suivirent, en particulier lors de la candidature d’Humphrey à la présidence en 1968, où celui-ci échoua malheureusement, de très peu, face à Nixon.

Eugenie Anderson et John Kennedy

Eugenie Anderson et John Kennedy

A partir de 1964, Eugenie Anderson fit partie de la délégation américaine à l’ONU, travaillant notamment pour le Comité chargé de la Décolonisation. Jusqu’à sa disparition, en 1997 à l’âge de 88 ans, elle resta très proche d’Istomin, non seulement dans les combats politiques d’Humphrey mais aussi dans la vie. Elle assistait le plus souvent possible à ses concerts. A l’automne 1970, elle vint à Londres entendre, en compagnie des parents d’Istomin, l’intégrale de la musique de chambre avec piano de Beethoven qu’Istomin donnait avec Isaac Stern et Leonard Rose au Queen Elizabeth Hall. Le père d’Istomin étant tombé malade, c’est Eugenie Anderson qui se chargea de l’accompagner pour revenir en Amérique sur le paquebot France.

Leurs discussions politiques restèrent passionnantes, en particulier sur la politique internationale. C’est ainsi qu’Istomin avait conservé précieusement un article qu’Eugenie Anderson avait rédigé en 1971 après un voyage en Israël. Elle assurait qu’aucune paix durable ne serait possible sans négociation et compréhension mutuelle…

Document

Un enregistrement vidéo émouvant : Eugenie Anderson, de retour aux Etats-Unis après avoir été ambassadeur au Danemark pendant deux ans, est l’invitée d’une émission d’information sponsorisée par les montres Longines : Longines Chronoscope. Il faut avoir la patience d’attendre la fin du générique de l’époque ou de le passer (plus d’une minute!).