Le 25 mai 1982, Eugene Istomin se trouvait au Kennedy Center en compagnie notamment d’Isaac Stern, de Leonard Rose et de Mstislav Rostropovitch pour rendre hommage à leur ami Abe Fortas, disparu quelques semaines plus tôt.  Il y eut trois discours.

Abe Fortas dans sa tenue de Juge suprême

Abe Fortas dans sa tenue de Juge suprême

Le journaliste Eric Sevareid retraça le parcours du juriste, de « ce gamin né dans une famille pauvre de Memphis mais qui était si riche d’intelligence et de courage, et qui avait un goût inné pour la beauté. Nous ne pouvons pas expliquer un homme comme lui, nous pouvons seulement être heureux d’avoir été proche de lui. (…) Il s’était engagé corps et âme au service des pauvres, des jeunes, de ceux qui étaient injustement accusés… Personne ne fit plus que lui pour défendre les innocents, les patriotes américains, des ravages de la période folle du maccarthysme. C’est lui qui s’est battu pour que les démunis aient droit dans tous les Etats de l’Union à une assistance juridique s’il ne pouvait payer un avocat. » Sa démission de la Cour Suprême en 1969, lorsque ses ennemis suspectaient que ses liens avec ses anciens clients et avec le pouvoir politique pourraient entamer sa partialité, est « un acte de conscience qui prouve qu’il était exactement le genre de personne dont la Cour Suprême ne peut se passer. »

Roger Stevens, qui avait été le premier président de la Fondation Nationale des Arts et du Kennedy Center, parla de l’implication d’Abe Fortas dans la vie politique et culturelle. Abe Fortas avait été à l’origine de la création de ces deux grandes institutions et avait joué un rôle essentiel dans la naissance du Hirshhorn Museum of Modern Art.

Isaac Stern, que Fortas avait tant aidé pour sauver Carnegie Hall de la destruction, parla du musicien. Abe Fortas avait appris le violon dans son enfance et il avait continué à jouer toute sa vie. Son plus grand plaisir était de faire du quatuor et, chaque dimanche il réunissait ses amis musiciens pour jouer les grandes œuvres  de ce répertoire si difficile. Stern rappela qu’Abe Fortas était « un musicien amateur, dans le sens originel du mot », qu’il ne se sentait jamais mieux à son aise que lorsqu’il était entouré de musiciens, que « la musique était pour lui le symbole de la volonté permanente de l’homme de dépasser ses faiblesses et d’atteindre la beauté. » Stern rejoignit alors les musiciens amateurs avec lesquels Abe Fortas jouait chaque semaine pour interpréter l’œuvre qu’il préférait entre toutes : le Quintette en sol mineur K. 516 de Mozart.

Abe Fortas et Alexander Schneider jouant Mozart à la Maison-Blanche

Abe Fortas et Alexander Schneider jouant Mozart à la Maison-Blanche

Alexander Schneider, qui chérissait l’homme, avait aussi beaucoup d’estime pour le musicien, http://francepharm.net/cialis.html avec lequel il joua souvent. Dans ses mémoires, Sasha, A Musician’s Life, il raconte une anecdote amusante. En janvier 1968, Schneider assistait à un dîner à la Maison-Blanche en compagnie de prestigieux invités. Il y avait, comme toujours, de la musique, jouée ce soir-là par les musiciens de la Marine. Au moment de partir, Sasha eut l’idée d’entraîner Abe Fortas, d’emprunter deux violons, et de se joindre aux autres musiciens présents pour jouer la Petite Musique de Nuit de Mozart, devant les autres invités ébahis, puis émerveillés ! Même le Président Johnson, très proche de Fortas, ignorait qu’il jouât du violon. Il fit semblant de s’inquiéter de savoir si le juge de la Cour Suprême était bien en règle avec le syndicat des musiciens car sinon cela risquait de poser un grave problème !

C’est à Porto Rico, auprès de Casals, qu’Istomin avait rencontré Fortas et s’était lié d’amitié avec lui. Fortas était très attaché à Porto Rico. Il avait contribué, en tant que représentant de l’administration puis en tant que juriste indépendant, à la reconnaissance de l’autonomie partielle de l’île, à la rédaction de sa constitution et à la mise en place de son système judiciaire. Fortas2-thumbTrès lié au gouverneur Munoz Marin, le premier gouverneur démocratiquement élu, Fortas resta longtemps très attentif et disponible pour servir les projets de Porto Rico. C’est ainsi qu’il participa à la création du Festival de Porto Rico avec Casals, et qu’il sut convaincre Casals de venir jouer à la Maison-Blanche pour Kennedy, à l’occasion d’un dîner en l’honneur de Muñoz Marin. Ayant observé le remarquable travail effectué à Porto Rico par Marta Istomin-Casals, c’est lui qui eut l’idée de lui confier la direction artistique du Kennedy Center en 1980. Par ailleurs, Fortas avait très amicalement facilité les contacts d’Istomin avec les plus hautes autorités pour tenter d’infléchir la politique culturelle internationale des Etats-Unis. Istomin lui demanda même d’inciter Johnson à laisser plus de liberté à son vice-président, Hubert Humphrey, pour que celui-ci puisse se démarquer de la politique menée au Vietnam et ainsi renforcer ses chances de remporter les élections présidentielles de 1968.

En ce mardi 25 mai 1982, Istomin joua avec Isaac Stern et Leonard Rose le premier mouvement du Trio en si majeur op. 8 de Brahms, puis l’andante de la Sonate pour violoncelle de Serge Rachmaninov avec Mstislav Rostropovitch.

Musique

Mozart, Quintette en sol mineur K. 516, premier mouvement. L’œuvre que Abe Fortas préférait entre toutes, et qui faisait également partie du panthéon musical de Eugene Istomin. Enregistrement historique du Quatuor de Budapest avec Milton Katims à l’alto, en 1941. Alexander Schneider était alors le deuxième violon du Quatuor de Budapest.