Les souvenirs de Yefim Bronfman

Bronfman 3 001« J’ai auditionné pour Eugene Istomin peu après que je sois arrivé en Israël. C’était en 1973, j’avais quinze ans. A cette époque on cherchait systématiquement à détecter les jeunes talents. J’ai joué le Deuxième Concerto de Liszt et la Septième Sonate de Beethoven, l’opus 10 n° 3. Il avait fait beaucoup de compliments à tout le monde, sauf à moi. Il m’avait simplement suggéré de jouer de la musique pour violoncelle et piano. J’avais pensé qu’il ne me trouvait pas assez de qualités pour devenir soliste, et j’étais très déçu, presque désespéré. En fait, je l’avais convaincu et il m’a recommandé à l’America-Israel Cultural Foundation. C’est ainsi que j’ai pu venir étudier aux Etats-Unis.

J’ai travaillé souvent avec Eugene Istomin, chez lui. C’était le plus exigeant de tous les professeurs que j’ai connus. Techniquement et musicalement, il fallait être parfaitement préparé. Il était d’une grande franchise et n’hésitait pas à me dire quand c’était mauvais. C’est avec lui que j’ai appris à vraiment lire une partition, à étudier le contrepoint, la polyphonie, la construction… Avant je me fiais surtout à mon instinct. J’ai joué avec lui tout mon répertoire de piano solo, et aussi des sonates avec Shlomo Mintz. Je me souviens en particulier d’avoir beaucoup étudié avec lui le Troisième Concerto de Beethoven pour lequel il m’avait obtenu un engagement au Festival de Porto Rico. J’avais aussi travaillé le Triple Concerto avec lui, Stern et Rose ! C’était en 1976, et je devais le jouer avec Shlomo Mintz et Yo-Yo Ma sous la direction d’Alexander Schneider.

Bronfman 2 001Au-delà de sa grande exigence, nous avions une relation très amicale. Il devait se retrouver un peu en moi. C’est sans doute pour cela qu’il m’avait demandé de jouer des œuvres pour violoncelle et piano, se souvenant d’avoir tant appris et eu tant de plaisir à jouer avec Casals. Il m’a présenté à beaucoup de gens qui ont compté pour moi, comme Pinchas Zukerman ou Sasha Schneider. Il m’a demandé de jouer pour Jean-Bernard Pommier, qui avait été son élève, et qui a été aussi pour moi un critique sans concession. Et puis il m’a emmené chez Horowitz, qui nous a accueillis avec beaucoup de gentillesse. C’est un souvenir inoubliable ! Horowitz m’a demandé de jouer et il s’est montré très enthousiaste. Il m’a donné des conseils techniques et m’a expliqué comment je devais travailler. Puis il s’est mis au piano et a joué pendant des heures ! Du Chopin, beaucoup, et aussi du Medtner…

Je dois beaucoup à Eugene Istomin, non seulement pour avoir cru en moi et m’avoir fait venir en Amérique, mais aussi pour ce qu’il m’a donné sur le plan musical. Il m’a également aidé à me faire connaître et à obtenir mes premiers engagements.

Je regrette qu’il n’ait pas reçu à la fin de sa carrière l’admiration et le respect qu’il méritait. Il avait connu la grande époque exaltante des Casals, Walter, Munch, Monteux… Il n’a pas voulu faire de concessions et s’adapter à l’évolution du monde musical et du business. C’était un pianiste extraordinaire, et je place au plus haut ses enregistrements de concertos, et ses trios, les plus beaux de l’histoire du disque. »
(Propos recueillis par Bernard Meillat en mars 2006)

Istomin aurait souhaité continuer à s’occuper plus longuement de Yefim Bronfman. L’America-Israel Cultural Foundation en décida autrement et il en fut très contrarié. Une Académie avait été créée à Guilford dans le Vermont pour permettre à deux jeunes pianistes de travailler intensément sous la supervision de Rudolf Serkin, qui venait de quitter la direction du Curtis Institute. En 1978, Yefim Bronfman fut le premier à faire partie de cette aventure, avec Stephanie Brown. Il n’y resta finalement que quelques mois.

Document

Yefim Bronfman joue le Concerto BWV 1052 de Bach en 1973, l’année même où il avait auditionné pour Istomin.