Le Trio Istomin-Stern-Rose était en résidence à Meadow Brook pendant l’été 1966. Outre des concertos avec le Detroit Symphony sous la direction de Sixten Ehrling et des concerts de musique de chambre, il était prévu que les membres du Trio donnent également des master classes avec les trois élèves qu’ils avaient invités : Jean-Bernard Pommier, Pinchas Zukerman et Lynn Harrell. Un journaliste de Detroit, Jay Carr, assista à la master class qu’Istomin donna le 30 juillet, consacrée successivement au Concerto l’Empereur de Beethoven et à la Première Sonate pour violon de Brahms. Voici le compte-rendu qu’il publia le lendemain dans le Detroit News

Jean-Bernard Pommier au milieu des années 60

Jean-Bernard Pommier au milieu des années 60

« Chaque pianiste a son piano. Istomin joue la partie d’orchestre et s’interrompt bientôt pour se lever et donner un conseil à son jeune collègue. ‘More majestically’, dit Istomin, et il traduit pour Pommier, qui ne parle pas anglais : ‘Plus majestueusement’. ‘Majestueux, mais pas enflammé’, précise le jeune Français. Le dialogue continue et la chose importante, c’est qu’il s’agit bien d’un dialogue. Les étudiants qui se présentent dans de telles master classes, on peut en être sûr, sont capables de jouer les notes. Les problèmes abordés dans ces cours sont du domaine du phrasé, de la dynamique et des inflexions. Il n’y a aucune pédanterie dans cette séance. Istomin, qui ne manque certes pas d’idées pianistiques, permet à celles du jeune pianiste de s’exprimer. Ils ont manifestement un respect mutuel.

Istomin s’adresse à ses auditeurs d’une voix douce, peu audible, mais la timidité s’évanouit à partir du moment où le piano parle pour lui. Alors il retrouve toute la clarté de son élocution. Il fait prendre conscience aux étudiants qu’il n’y a pas de vérité absolue en musique et il démontre, avec une sonate pour violon et piano de Brahms, que beaucoup de questions concernant le phrasé relèvent en fait davantage de la philosophie que de la pure technique. La question est de savoir comment interpréter le terme vivace. Il y a une brève discussion quant à la nature de cette vivacité, sur le plan de l’expression musicale. ‘Je ne pense pas à un vivace mendelssohnien, avec la légèreté des elfes’, dit Istomin. ‘Je crois plutôt que cela correspond à un état de l’âme, à une sorte de légèreté.’ Ce qu’Istomin essaye de communiquer, c’est le sentiment que c’est la substance même de la musique qui dicte la façon dont elle doit être jouée. La séance s’achève par une lecture du premier mouvement de la Sonate de Brahms en sol majeur, jouée par Istomin et par un jeune protégé d’Isaac Stern, Pinchas Zukerman.

Jean-Bernard Pommier trinquant avec Rose, Istomin, Stern et Rampal. 1970

Jean-Bernard Pommier trinquant avec Rose, Istomin, Stern et Rampal. 1970

Après la master class, Istomin apporte quelques précisions au sujet de Pommier, rejetant à nouveau le rôle de professeur : ‘Il n’est pas un étudiant, il est un jeune artiste. Je le considère comme un collègue. Il a gagné des prix, notamment en Russie, et il s’est produit sur scène avec beaucoup de succès. Mais comme il est intelligent, il ne se laisse pas griser par le succès. Le succès peut disparaître très vite. Pommier veut tout simplement approfondir ses connaissances. Il est clair qu’il est ici pour absorber ce qu’il souhaite de moi et de mes collègues Isaac Stern et Leonard Rose, et seulement cela. Il retourne à Paris après le festival mais il reviendra à New York en septembre. Je crois qu’il faut qu’il entre en contact avec Serkin, Horowitz, Fleisher, Gould… Je pense que nous avons davantage à lui offrir que les Russes et je veux qu’il se familiarise avec le milieu musical américain. Je lui ai conseillé d’attendre deux ou trois ans avant de se lancer dans des tournées ici. Nous n’avons malheureusement pas d’endroits dans ce pays où de jeunes artistes peuvent se permettre de donner de mauvais concerts.’
(Traduction, Bernard Meillat)


Musique

Beethoven, Concerto n° 5, l’Empereur, premier mouvement. Eugene Istomin, Orchestre de Philadelphie, Eugene Ormandy. Enregistrement Columbia 26 janvier 1958