Schneider jouant du violon

Schneider en 1948

Alexander Schneider est un des personnages clés de la vie d’Istomin. C’est grâce à lui qu’il a été invité au premier Festival de Prades et qu’il a donc fait la connaissance de Casals ! Alexander Schneider fut également pour lui un partenaire essentiel, comme violoniste et comme chef d’orchestre. Ils ont partagé plus de cent concerts, à Prades, à Porto Rico, à Marlboro, à Paris, à la Library of Congress, en Israël… Leur relation ne fut jamais très simple car Schneider s’est toujours senti comme un aîné qui a pour mission de conseiller, qui est le seul à dire la vérité, même si elle n’est pas douce à entendre. Il se conduisait ainsi avec beaucoup de gens et nombreux sont ceux qui ont fini par se fâcher avec lui. Avec Istomin, cela provoqua inévitablement des moments de tension, mais l’affection et le souvenir des grands moments partagés permirent de les surmonter.
La vie d’Alexander Schneider est un roman, qu’il a raconté dans ses mémoires, Sasha, a Musician’s Life. Né à Vilnius en 1908, il partit à l’âge de seize ans pour étudier à Francfort. Trois ans plus tard, il devint concertmaster de l’Orchestre de Sarrebruck, puis en 1929 de l’Orchestre de la NDR à Hambourg. En 1932, il rejoignit le fameux Quatuor de Budapest, qui dût fuir l’Allemagne dès 1933 et s’installa aux Etats-Unis au début de la Deuxième Guerre Mondiale. Schneider quitta le Quatuor de Budapest en 1944 pour fonder différents ensembles de musique de chambre (un duo avec le claveciniste Ralph Kirkpatrick, le Trio Albeneri, le New York Piano Quartet, puis un Quatuor à cordes qui portait son nom et avec lequel il joua et enregistra l’intégrale des Quatuors de Haydn. Il se lança aussi dans de grands projets comme la présentation de l’œuvre pour violon seul de Bach, qu’il alla travailler avec Casals. C’est lui qui eut l’idée de créer le Festival de Prades : puisque Casals ne pouvait accepter de donner des concerts dans les pays qui avaient refusé de chasser Franco, Schneider lui proposa d’inviter des musiciens du monde entier à venir célébrer le deux-centième anniversaire de la mort de Bach à Prades !

Le Quatuor de Budapest vers 1960 : Mischa Schneider, Boris Kroyt, Alexander Schneider et Joseph Roisman

Le Quatuor de Budapest vers 1960 : Mischa Schneider, Boris Kroyt, Alexander Schneider et Joseph Roisman

En 1955, Schneider revint avec les Budapest, qui avaient un peu réduit leur activité. Il s’investit corps et âme dans l’aventure de Marlboro et créa, à la demande de Casals, le Festival de Porto Rico. En 1957, il fonda une série de concerts sous l’égide de la New School University à New York, avec une programmation ambitieuse qui faisait la part belle aux jeunes interprètes de talent et à la musique contemporaine et qui proposait des places à des prix très accessibles. En 1969, il inventa, avec l’aide de Frank Salomon, les Christmas String Seminars qui réunissaient chaque hiver les meilleurs jeunes instrumentistes à cordes du pays : un stage très intense avec la formation d’un orchestre à cordes dont l’enthousiasme et la virtuosité étaient sans égal. La session s’achevait avec des concerts à Carnegie Hall et au Kennedy Center. Par la suite, Sasha, comme tout le monde l’appelait, participa à la naissance du Mostly Mozart Festival et de l’Orchestre de Chambre d’Europe, dont il dirigea les premiers enregistrements. En plus d’avoir été un grand musicien, Sasha fut un merveilleux animateur de la vie musicale, toujours riche d’idées et d’énergie, et plein de générosité.

Schneider, la Reine Marie-José d’Italie, Casals, Istomin, Serkin au Théâtre de Perpignan en août 1951

Schneider, la Reine Marie-José d’Italie, Casals, Istomin, Serkin au Théâtre de Perpignan en 1951

Istomin et Schneider se sont rencontrés en 1949 chez Mrs Leventritt, la célèbre mécène américaine. Ils jouèrent ensemble une sonate de Mozart et Sasha lui proposa aussitôt de donner avec lui l’intégrale des Sonates pour violon de Beethoven en trois séries de concerts dans des grandes universités de New York, de Chicago et de Cambridge (Massachusetts). Les premières répétitions furent assez  tendues car Istomin avait joué ces sonates avec Adolf Busch et il trouvait que l’interprétation de Schneider manquait de rigueur et de tension. Cependant Schneider fut impressionné au point d’inviter Istomin au Festival de Prades, où il fut accueilli à bras ouverts par Casals. L’année suivante, Schneider et Istomin jouèrent et enregistrèrent avec Casals la quasi intégralité des Trios de Beethoven et le Trio en si bémol majeur de Schubert. Puis ils partagèrent des vacances inoubliables en Grèce, se liant tous deux d’amitié avec Manos Hadjidakis.

L’année suivante, 1952, amena une rupture. Sasha renonça à assumer la direction artistique du Festival de Prades auprès de Casals. Il était contrarié par la mauvaise gestion et les chamailleries continuelles du comité français. Il était lassé des exigences des solistes invités, qui se disputaient l’honneur de jouer avec Casals. Il y avait eu aussi l’affaire de l’orchestre : Sasha avait dit que les finances ne permettaient pas de réunir à nouveau un orchestre en 1952 et certains musiciens ne l’avaient pas accepté ; ils avaient essayé de passer outre et de monter à son insu un autre festival symphonique après le festival de musique de chambre ! Par ailleurs, il était tombé éperdument amoureux de Geraldine Page, ce qui le rendait beaucoup moins disponible. Sasha fut surpris qu’Istomin lui succède et parvienne à réunir un orchestre l’année suivante. Il en conçut un peu de jalousie, mais leur profond attachement à Casals eut tôt fait de les rapprocher et ils se retrouvèrent à ses côtés à Porto Rico. Casals ne pouvait diriger tous les programmes et Schneider le remplaçait souvent pour les concertos. Il y eut quelques collaborations mémorables, en particulier le Concerto de Schumann en 1959 ou le Troisième de Beethoven en 1970. Lorsque Schneider, à la demande de Pierre Vozlinsky, reprit spectaculairement en main l’Orchestre de Chambre de l’ORTF, il monta un cycle Mozart qui fit courir tout Paris. Les trois concertos qu’Istomin joua sous sa direction furent également des moments privilégiés. Les enregistrements audio et vidéo en témoignent.

Schneider dirigeant

Schneider dirigeant

Si certaines collaborations ont donné beaucoup de plaisir à Istomin, il lui arrivait aussi de regretter que Sasha ait tendance à caricaturer un peu Casals, avec des tics de phrasé et des tempos excessifs. Ralph Kirkpatrick lui en avait également fait le reproche après le Festival Bach de 1950 et n’arrivait plus à jouer avec lui. Istomin regrettait aussi que Schneider se montre souvent très autoritaire, et parfois tyrannique avec ses musiciens.
Bien qu’ils aient fait si souvent de la musique de chambre ensemble, dans toutes les formations imaginables, du duo au quintette, avec Casals, avec Stern et Rose, et avec le Quatuor de Budapest, Istomin et Schneider se disputaient sur le rôle du piano ! Istomin ne manquait jamais de rappeler que le piano tient le rôle essentiel dans les sonates et les trios, de Mozart à Brahms, et même au-delà. Bien sûr, Istomin convenait que le piano devait savoir s’effacer lorsque la ligne mélodique est confiée aux instruments à cordes, mais il assurait que ce serait stupide de fermer le couvercle du piano pour s’assurer qu’il ne couvre pas ses partenaires dans de tels passages. Un bon pianiste doit être capable d’équilibrer sa sonorité. Le moins que l’on puisse dire c’est que Sasha n’était pas convaincu. Dans ses mémoires il parle des disques de musique de chambre d’Istomin en ces termes : « Bien sûr, ses enregistrements de trios et de sonates avec Isaac Stern et Leonard Rose sont célèbres, mais je ne les aime pas. Et la raison pour laquelle je ne les aime pas, c’est l’erreur que commettent la plupart des pianistes en jouant la musique de chambre avec le piano complètement ouvert. Peu importe avec quel soin ils jouent, ils écrasent le violon et le violoncelle et cela devient comme un solo de piano avec l’accompagnement de deux instruments à cordes installés quelque part sur une autre planète ».

Istomin, Schneider et Casals à Porto Rico en 1959

Istomin, Schneider et Casals à Porto Rico en 1959

Autre pomme de discorde, à la fin des années 80, la décision d’Istomin de faire de grandes tournées à travers les Etats-Unis avec un camion transportant ses propres pianos. Sasha balaya l’idée d’un revers de main, refusant de prendre en considération ni l’envie du pianiste de ne plus dépendre des pianos plus ou moins médiocres que les salles mettaient à sa disposition ni la volonté du musicien de ramener de la musique vivante dans des villes désertées par les circuits de concerts. Sasha ne voulut y voir qu’une opération publicitaire !
Leur amitié fraternelle survécut à cette ultime brouille. Sasha était devenu de plus en plus amer. Lui qui aimait tant les plaisirs de la vie supportait mal de vieillir, de ne plus pouvoir jouer, de ne plus bien voir, de peiner à monter des escaliers… Eugene Istomin et Marta furent parmi les plus fidèles dans ses dernières années difficiles. Sasha avait été tellement important pour eux ! Symboliquement, lorsqu’à l’été 1974 ils avaient décidé de se marier, c’est à Sasha en premier qu’ils souhaitèrent l’annoncer, et ils firent spécialement le voyage en Provence, jusqu’à sa maison du Paradou…

Enregistrements discographiques

Beethoven, Trios n° 2, 4, 6 & 7. Schubert, Trio n° 1. 1951, Perpignan.

Quelques concerts

1949, automne. Chicago New York et Cambridge (Massachusetts). Beethoven, Intégrale des Sonates pour piano et violon.

1951, 12 juillet. Perpignan, Palais des Rois de Majorque. Beethoven, Trios op. 1 n° 2, op. 11, op. 70 n° 2. Pablo Casals.

1951, 16 juillet. Perpignan, Palais des Rois de Majorque. Beethoven, Variations op. 121a, op. 1 n° 3, op. 97. Pablo Casals.

1952, 25 juin. Prades, Abbaye saint-Michel de Cuxa. Schubert, Trio en si bémol majeur D. 898. Pablo Casals

1957, 1er mai. San Juan de Porto Rico, Théâtre de l’Université. Mozart, Concerto n° 9 K. 271. Orchestre du Festival Casals.

1958, 8 mai. San Juan de Porto Rico, Théâtre de l’Université. Brahms, Concerto n° 2. Orchestre du Festival Casals. Concert enregistré.

1958, 26 juillet. Marlboro. Mozart, Concerto n° 9 K. 271. Orchestre du Festival de Marlboro.

1959, 1er mai. San Juan de Porto Rico, Théâtre de l’Université. Schumann, Concerto. Orchestre du Festival Casals. Concert enregistré et filmé.

1961, 18 septembre. Tel Aviv. Auditorium Mann. Mozart, Concerto pour 2 pianos K. 365. Serkin. Orchestre Philharmonique d’Israël

1970, 31 mai. San Juan de Porto Rico, Théâtre de l’Université. Beethoven, Concerto n° 3. Orchestre du Festival Casals. Concert enregistré.

1972 28 janvier. Paris, Théâtre des Champs-Elysées. Mozart, Concertos K. 271 et 449. Orchestre de Chambre de l’ORTF. Concert enregistré en public, filmé en studio.

1972, 4 février.  Paris, Théâtre des Champs-Elysées. Mozart, Concerto pour deux pianos K. 365. Jean-Bernard Pommier. Orchestre de Chambre de l’ORTF. Concert enregistré en public, filmé en studio.

1972, 13 juin. San Juan de Porto Rico, Théâtre de l’Université. Bach, Concerto Brandebourgeois n° 5. John Wummer, Alexander Schneider, violon et dir. Mozart, Concerto K. 365. Jean-Bernard Pommier Orchestre du Festival Casals. Concert enregistré.

1973, août. Festival d’Israël. Mozart, Quatuor K. 478. Stern, Schneider (alto), Rose.

1973, août. Festival d’Israël. Mozart, Concerto n° 9 K. 271. Israel Festival Youth Orchestra.

1976, 14 juin. San Juan de Porto Rico, Théâtre de l’Université. Bach, Concerto pour 3 pianos BWV 1064. Serkin, Horszowski. Orchestre du Festival Casals. Concert enregistré.

Musique

Beethoven. Trio en mi bémol majeur op. 70 n° 2, les deux derniers mouvements. Eugene istomin, Alexander Schneider, Pablo Casals. Enregistrement à Perpignan pour Columbia en août 1951

 

Mozart. Concerto n° 9 K. 271, la fin. Eugene Istomin, Orchestre de Chambre de l’ORTF, Alexander Schneider. 1972.