Horszowski et Stader Prades 1952 001

Avec Maria Stader à Prades en 1952

Mieczyslaw Horszowski arriva au Curtis Institute en 1942, pour remplacer Bolet comme assistant de Serkin. Dès l’année suivante, il eut sa propre classe, qu’il conserva pendant cinquante années ! Horszowski était né en 1892 et avait déjà une longue carrière derrière lui, ayant fait ses débuts en jouant un concerto de Beethoven à Varsovie en 1901. Il avait connu Fauré et Saint-Saëns, il était très proche de Casals avec lequel il avait enregistré des sonates de Beethoven et de Brahms, et il avait joué sous la direction de Toscanini dès 1906.

Istomin trouva auprès d’Horszowski beaucoup de compréhension et d’encouragements. Horszowski le complimenta notamment sur son toucher et sur sa capacité à faire chanter le piano, des qualités qui n’étaient guère valorisées par Serkin. Quand un journaliste italien demanda en 1987 à Horszowski quelle était la première qualité qu’il attendait d’un élève, il répondit : « J’écoute leur toucher. Si leur toucher est dur, je leur suggère tout de suite de changer de métier. » Horszowski lui ouvrait des horizons grâce à son immense culture. Il lui recommandait l’humilité, lui demandait de ne pas vouloir devenir Superman en recherchant la perfection à tout prix. Cependant, son influence fut assez réduite, car c’était la dernière année d’Istomin au Curtis, et Serkin, qui voulait veiller personnellement sur son évolution, restait son vrai professeur. Horszowski continua de soutenir Istomin dans les premières années de sa carrière. Il était présent lors de ses débuts avec le New York Philharmonic, puis lors de son premier récital à Town Hall, notant dans son journal qu’il avait eu beaucoup de succès et que ses Chopin étaient excellents. En mars 1944, il était aux côtés d’Istomin pour jouer le Concerto pour 2 pianos BWV 1061 de Bach sous la direction d’Adolf Busch.

Avec Rudolf Serkin et Ruth Laredo à Marlboro

Avec Rudolf Serkin et Ruth Laredo à Marlboro

Tous deux se retrouvèrent bien sûr autour de Casals en de multiples occasions, et tout d’abord à Prades. Lorsqu’Istomin eut la responsabilité de la programmation du Festival 1954, entièrement dédié à la musique de chambre de Beethoven, il prit soin de faire la part belle à ses aînés, leur confiant les rares œuvres de piano solo prévues (l’opus 109 et les Variations Diabelli pour Serkin, l’opus 111 pour Horszowski) et ne s’en réservant aucune. A partir de 1957, c’est à Porto Rico ou à Marlboro que les trois pianistes rejoignirent fidèlement Casals et en 1971, lorsque l’ONU remit la Médaille de la Paix à Casals, ils jouèrent le Concerto pour 3 pianos BWV 1064 de Bach sous sa direction.

Avec Alexander Schneider à Porto-Rico

Avec Alexander Schneider à Porto-Rico

Horszowski n’était pas un virtuose mais c’était un merveilleux musicien dont le jeu très pur et la belle sonorité étaient une référence pour tous, collègues et élèves. Toscanini avait une haute idée de son talent et l’invita à deux reprises à jouer sous sa direction avec l’Orchestre de la NBC, le Concerto n° 27  de Mozart en 1943 et le Concerto n° 2 de Martucci en 1953. Cela aurait dû suffire à lancer sa carrière américaine, mais les grandes maisons de disques, les agents et les organisateurs le boudèrent. Ils le trouvaient trop modeste, trop discret, pas assez spectaculaire… Ils ne s’intéressèrent à lui que lorsqu’il eut plus de quatre-vingt-dix ans et devint alors un sujet de curiosité : c’était un record de longévité… Les portes des grandes salles de concert du monde se rouvrirent pour lui. Istomin en fut quelque peu scandalisé : « Pourquoi ne l’ont-ils pas fait plus tôt, lorsqu’il était au sommet de son art ? ». De son côté, il avait saisi toutes les opportunités de défendre la cause d’Horszowski. Il réussit notamment à convaincre Ormandy de l’inviter à jouer avec l’Orchestre de Philadelphie, sans que Horszowski n’en ait rien su. C’est ainsi qu’Horszowski fit ses débuts avec l’Orchestre de Philadelphie à l’âge de quatre-vingt-six ans, jouant à quatre reprises, les 16, 17, 18 et 21 novembre 1978. Istomin avait suggéré à Ormandy de lui demander le Concerto n° 27 de Mozart, une œuvre dans laquelle il était incomparable.

Si Istomin regrettait que ces hommages soient bien tardifs, il gardait intact son admiration pour son aîné, même dans son grand âge. Il remarquait que, depuis que ses yeux ne lui permettaient plus de lire les partitions, Horszowski avait tendance à renouer avec la liberté de phrasé et le goût du chant qui étaient très répandus au temps de sa jeunesse. Il était également étonné de constater qu’il ne ralentissait guère ses tempos : « Nombre d’artistes vieillissants le font, notamment dans les moments les plus intenses, en partie parce que leurs moyens physiques et techniques déclinent, mais surtout parce qu’ils se replient de plus en plus sur eux-mêmes, en une sorte d’hyper-intériorisation contemplative. Casals et Serkin ont eu parfois cette tendance. Horszoswski ne l’a pas car sa confiance en Dieu est absolue. Elle évite ce repli sur soi-même et ce besoin de contemplation musicale intérieure. »

Horszowski RemembrancesAu fil du journal d’Horszowski (édité par Bice Costa Horszowski en 2002 sous le titre Remembrances), on retrouve en permanence les liens affectueux qui ne cessèrent jamais d’unir Miecio et Eugene. Le 22 septembre 1991, Istomin participa au grand concert donné à Philadelphie en hommage à Horszowski, à l’approche de son centième anniversaire et de ses cinquante ans de présence au Curtis. Tous ses anciens élèves étaient réunis, et notamment Richard Goode, Peter Serkin et Seymour Lipkin. A cette occasion, Horszowski avait demandé à Istomin de reprendre le Prélude de Casals, qu’il n’avait plus joué depuis fort longtemps.

Document

Chopin. Impromptu n° 1 op. 29. Mieczyslaw Horszowski à Tokyo en 1987. La liberté de chant et de phrasé, le tempo allant, tels qu’Istomin les évoquait ci-dessus