Vozlinsky 001

Pierre Vozlinsky, que tout le monde appelait tout simplement Voz, avait commencé sa carrière comme pianiste. Après son Premier Prix au Conservatoire de Paris, en 1952, dans la classe de Lucette Descaves, il donna de nombreux concerts en Europe et en Amérique du Sud, en récital et en musique de chambre. Il remporta le Concours Enesco en 1958 avec le violoniste Serge Blanc. Il fit un enregistrement très remarqué des Tableaux d’une exposition de Moussorgsky. En 1965, il décida d’abandonner le piano et de devenir producteur d’émissions de télévision, estimant qu’il serait plus utile à la cause de la musique dans un tel rôle. Sa série L’homme et sa musique était un modèle de vulgarisation intelligente de sujets souvent difficiles.

Devenu Chef du service de musique à la télévision française, il coordonna en 1970 l’année Beethoven, un projet remarquable qui permit à un très large public de découvrir en profondeur les grandes œuvres de Beethoven, diffusées à des heures de grande écoute. Elles étaient interprétés par les meilleurs interprètes, précédées d’une introduction historique de Max-Pol Fouchet, et suivies de commentaires et d’analyses musicologiques de Brigitte et Jean Massin. C’est à cette occasion qu’Istomin se lia d’amitié avec Vozlinsky, qui avait demandé au Trio Istomin-Stern-Rose de filmer l’intégrale des Trios de Beethoven. Istomin avait été séduit par l’ambition des projets de Vozlinsky pour la télévision. Sa conception exigeante du service public, sa volonté de démocratiser l’accès à la musique sans aucune concession à la facilité ou à la démagogie, correspondaient parfaitement à la philosophie d’Istomin.

Istomin avait alors aidé Vozlinsky à convaincre Casals de se laisser filmer à Porto Rico en 1972 dans la Symphonie Pastorale de Beethoven. En 1973, Vozlinsky fut nommé directeur des programmes musicaux de la radio. Il bouscula les orchestres de l’ORTF et leur donna une nouvelle ambition, avec des chefs aussi prestigieux que Celibidache, Bernstein, Maazel ou Ozawa. En 1974, il lutta autant qu’il le put contre la décision de Valéry Giscard d’Estaing de séparer complètement Radio et Télévision, pressentant que la Télévision s’éloignerait irrémédiablement de ses orchestres et de ses missions musicales. L’avenir lui donna raison. Témoignage de l’effervescence de l’activité musicale de la télévision entre 1970 et 1974, le Trio Istomin-Stern-Rose enregistra, outre l’intégrale des Trios de Beethoven, les trois Trios de Brahms. Et Istomin enregistra trois concertos de Mozart, les Variations Haendel de Brahms, la Sonate en ré majeur D. 850  de Schubert, ainsi qu’un bref récital Chopin-Debussy.   

Obligé de se cantonner à la seule Radio, Vozlinsky poursuivit son travail de redynamisation des orchestres et continua de faire appel à Istomin pour de multiples projets : concerts avec l’Orchestre de Chambre, avec l’Orchestre National, avec le Nouvel Orchestre Philharmonique tout récemment créé, avec l’Orchestre de Nice-Côte d’Azur, enregistrements d’œuvres pour piano seul en studio.

En conflit avec le nouveau gouvernement de gauche et avec une partie de ses équipes, qui lui reprochaient sa gestion très autoritaire, Vozlinsky quitta Radio France en 1981. Ses successeurs prirent soin de ne plus inviter les chefs d’orchestre et les solistes qui avaient participé à l’aventure de Vozlinsky. Istomin ne fut plus invité par les orchestres de Radio France pendant plus de 15 ans. Après un passage au MIDEM et chez Erato, Pierre Vozlinsky devint directeur général de l’Orchestre de Paris en 1986, poursuivant sa double quête d’exigence artistique et d’ouverture à un large public, créant les concerts du samedi matin à destination des jeunes, qui se pressèrent nombreux et enthousiastes. Vozlinsky aurait souhaité inviter Istomin mais il se heurta au refus de Daniel Barenboïm, son directeur musical.

Istomin éprouva beaucoup de tristesse en apprenant le suicide de Pierre Vozlinsky en mars 1994. Les milieux musicaux et politiques, où il s’était fait beaucoup d’ennemis et d’envieux, ne répandirent guère de larmes. Finalement le plus bel hommage vint de L’Humanité, le quotidien du Parti Communiste, avec lequel il n’avait vraiment pas d’affinités politiques. Hélène Jarry écrivit : « Rien n’était trop beau, rien n’était trop intelligent pour le public que Pierre Vozlinsky voulait toucher. Pianiste de haut niveau lui-même et pédagogue, il n’a jamais oublié que la musique était un art avant d’être un commerce ». Istomin n’aurait pas choisi d’autres mots…

Musique

Schubert INA et Mozart INA audio ou vidéo