Eugene Istomin avait dit à Robert Jacobson : « Si vous jouez bien Mozart, vous pouvez jouer tout le reste! »

Mozart 1777Quand il s’agissait de parler de Beethoven ou de Schumann, Istomin était intarissable. Pour Schubert et Chopin, il pouvait avoir besoin de chercher ses mots. Pour Mozart, il ne pouvait en trouver. Mozart, c’est une évidence, c’est l’essence même de la musique, qu’on ne peut traduire en paroles. Qu’on ne peut ni copier ni reproduire. Istomin remarquait que tous les grands pianistes qui ont écrit des cadences pour les concertos de Mozart ont essayé de les écrire comme Mozart. Mais c’est impossible ! Ils ont dû y renoncer et les ont écrites à la manière de Beethoven. Lorsqu’Istomin voulait évoquer sa conception de tel ou tel passage d’un concerto de Mozart, la seule solution qu’il trouvait, c’était de faire référence à un de ses opéras. Mozart occupait une place très importante dans la carrière d’Istomin.

Les Concertos

Outre le Concerto pour 2 pianos, qu’il ne donna qu’en de rares occasions et avec des partenaires de choix (Serkin, Fleisher et Pommier), son répertoire comprenait cinq concertos.

ML 4567Mozart K. 449Le Concerto en mi bémol majeur K. 449 fut le premier concerto qu’il joua, en juillet 1943, à Boston, avec un orchestre d’étudiants. Puis il le joua en alternance avec le Concerto BWV 1052 de Bach tout au long de sa première tournée avec Adolf Busch, au début de l’année 1944. C’est également ce concerto qui lui fut attribué lors du deuxième Festival de Prades en 1951, et qu’il enregistra sous la direction de Casals. Istomin était soumis à rude concurrence, puisque les autres concertos étaient confiés à Myra Hess (K. 271), à Clara Haskil (K. 459), à Yvonne Lefébure (K. 466), à Serkin (K. 488) et à Horszowski (K. 595), mais il réussit à tirer son épingle du jeu. L’Indépendant, le quotidien de Perpignan, rapporta qu’Istomin avait été acclamé et qu’il avait dû revenir saluer de nombreuses fois. Howard Taubmann, l’envoyé spécial du New York Times, avait mentionné son interprétation « pleine de maîtrise, à la fois joyeuse et subtile ».

En 1945, pour la deuxième tournée avec Busch, Istomin avait ajouté le Concerto K. 414, qu’il ne reprit plus par la suite, et le Concerto en mi bémol majeur K. 271 qu’il garda jusqu’à la fin de sa carrière et qui resta son préféré. Il eut du mal à se décider à le présenter au public et repoussa plusieurs fois l’échéance. Il fallut que Busch refuse de changer à nouveau le programme et le pousse sur scène ! Il considérait que c’était le plus difficile de tous, musicalement et techniquement. Malgré sa composition précoce, on y trouve l’expression rayonnante de l’imagination et de l’âme de Mozart. C’est un chef-d’œuvre absolu qu’il faut mériter ! Istomin l’exécuta avec de grands chefs aux tempéraments très différents : Szell, Stokowki, Schneider, Reiner, Solti… Un de ses grands regrets fut de n’avoir pas pu, comme c’était prévu, l’enregistrer avec Casals lors du festival de Porto Rico 1957.

Istomin joua pour la première fois le Concerto n° 24 en 1962, sous la direction de Milton Katims, lors de l’Exposition Universelle de Seattle. Quant au Concerto n° 21, il le mit à son répertoire en 1976 et c’est celui qu’il a le plus souvent proposé dans les années 80 et 90. Il enregistra ces deux concertos en 1995 avec Gerard Schwarz et l’Orchestre Symphonique de Seattle, en une seule session!

Istomin en coulissesIstomin avait souvent pensé à d’autres concertos. La brochure du Festival de Prades 1953 annonçait qu’il jouerait le K. 503. Il avait même écrit une cadence (que Fleisher reprit à son compte et modifia), mais finalement il ne sentit pas prêt et demanda à Casals de changer pour le Quatrième de Beethoven. Par ailleurs il préférait ne pas envisager certains concertos qui lui semblaient être la signature de pianistes qu’il aimait et admirait : le Dix-septième de Kapell, le Vingt-deuxième de Serkin ou le Vingt-septième d’Horszowski…

Musique de chambre et piano solo

Les Trios ne font malheureusement pas partie des sommets de l’œuvre de Mozart et ne trouvent pas facilement leur place dans une grande salle de concerts. Cortot, Thibaud et Casals ne jouèrent que le Trio K. 542 (deux fois) et le Trio K. 564 (une seule fois). Istomin, Stern et Rose se limitèrent, quant à eux, au seul Trio K. 502, d’esprit très concertant, et ils le jouèrent souvent à partir de 1975. Ils l’enregistrèrent pour Columbia mais les bandes furent égarées, et le seul témoignage de leur interprétation est un enregistrement vidéo peu accessible.

En revanche, il ne faisait pas de doute pour Istomin que les deux quatuors avec piano de Mozart, en sol mineur K 478 et en mi bémol majeur K 493, étaient des chefs d’œuvre. Malheureusement, ce n’est pas un effectif qui permet de les programmer dans les saisons régulières. Il faut un festival ou des circonstances spéciales, qui permettent les répétitions indispensables. Pour son plus grand bonheur, Istomin eut l’occasion de les jouer chacun près d’une dizaine de fois, aux festivals de Porto Rico, de Marlboro, d’Israël ou d’Evian, avec des partenaires d’exception : le Quatuor de Budapest, Stern, Rose, Schneider, Laredo…

Mozart 1La plupart des grands pianistes répugnent à jouer en concert les œuvres pour piano seul de Mozart. Ce n’était pas le cas d’Istomin, qui interpréta souvent les Fantaisies K. 394 et K. 397 ainsi que le Rondo K. 485. Il conserva en permanence une sonate classique à son répertoire, alternant la Sonate en la majeur Hob.XVI:12 de Haydn et trois sonates de Mozart. La première était la Sonate K. 330, à la fin des années 40. Il la remplaça à partir de 1950 par la Sonate K. 576 qu’il aimait infiniment, et qu’il trouvait diaboliquement difficile : il était tentant de se laisser entraîner à prendre les deux mouvements extrêmes à des tempos très rapides, et c’était alors un défi de garder le contrôle ! Ses trois mouvements lui semblaient dessiner un portrait idéal de Mozart, avec la perfection formelle et le contrepoint du premier mouvement, l’émotion tendre et mélancolique de l’adagio et l’exubérance du finale. Se refusant aux sonates ouvertement dramatiques (K. 310 et 457), il se prit d’affection pour une modeste sonate de jeunesse, en sol majeur K. 283, qu’il programma régulièrement au début des années 90, lui trouvant beaucoup de charme et de fraîcheur ainsi que d’invention pianistique avec ses octaves à la main gauche et ses croisements de mains.

(Propos recueillis par Bernard Meillat, 1987, 1991, 1997)

Musique

Mozart, Concerto n° 9 en mi bémol majeur K. 271. Eugene Istomin, Orchestre de Chambre de l’ORTF, Alexander Schneider. 28 janvier 1972

 

Mozart, Quatuor pour piano et cordes en mi bémol majeur K. 493. Eugene Istomin, piano. Aaron Serofsky, violon. Dov Scheidlin, alto. Eric Gaensle, violoncelle. Evian, 31 mai 1992