David Oppenheim a joué un rôle essentiel dans la carrière discographique d’Istomin. C’est à lui que l’on doit l’ensemble des enregistrements qu’il a réalisé pour Columbia dans les années 50. Il fut aussi pour lui un ami fidèle et, occasionnellement, un partenaire de musique de chambre.

La riche carrière de David Oppenheim, clarinettiste, producteur audiovisuel et enseignant

Oppenheim et Bernstein

David Oppenheim et Leonard Bernstein

Né en 1922, David Oppenheim avait achevé sa formation de clarinettiste en 1943, mais il fut aussitôt mobilisé et il ne commença réellement sa carrière qu’après la Guerre. Il était proche de Bernstein, qu’il avait rencontré en 1942 à Tanglewood et qui lui dédia sa Sonate pour clarinette et piano. Musicien free lance dans les orchestres new-yorkais, il joua souvent sous la direction de Bernstein, de Toscanini et de Stokowski.

Tout en continuant à se produire de temps à autre comme clarinettiste, David Oppenheim entra chez Columbia en 1950, comme producteur puis comme directeur Artistes & Répertoire. En 1959, il quitta Columbia car il était fatigué de la politique dictée par Goddard Lieberson : enregistrer toujours les mêmes œuvres par les mêmes interprètes, dépendre d’un marketing qui lui laissait de moins en moins de liberté. Par ailleurs, il s’était pris de passion pour la télévision et le cinéma. Il s’y consacra pendant une dizaine d’années, travaillant pour CBS TV News et réalisant plusieurs films sur la musique (Casals at 88, en 1964 ; Stravinsky, en 1965). Son exceptionnelle carrière se poursuivit comme doyen du département des Arts de l’Université de New York (Tisch SoA), de 1969 à 1991, auquel il apporta un extraordinaire développement, obtenant le financement d’un nouveau bâtiment et faisant passer le nombre d’étudiants de six cents à trois mille.

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Oppenheim s’amusant à jouer du saxo.

David Oppenheim garda une activité de clarinettiste jusqu’à la fin des années 70 : il enregistra notamment les quintettes de Brahms et de Mozart avec le Budapest Quartet et le Septuor de Stravinsky. Grand admirateur de Casals, il était venu à Prades en 1955 pour jouer toutes les œuvres de musique de chambre avec clarinette de Brahms. David Oppenheim avait notamment joué le Trio opus 114, avec Istomin et Casals (enregistré par la Radio Française et publié en disque pirate). Lors de la répétition, Istomin et Casals s’étaient un peu chamaillés sur le tempo du dernier mouvement. Istomin le souhaitait plus rapide, mais Casals n’avait  pas cédé. Oppenheim était d’accord avec Istomin, mais s’était bien gardé d’intervenir. Il gardait un grand souvenir de cette expérience. Il avait tenu à participer au premier Festival de Porto Rico en 1957, comme clarinette solo dans l’Orchestre et dans l’Octuor de Schubert. Il avait été très déçu que Casals, à la suite d’un grave problème cardiaque, ait dû renoncer à jouer et à diriger.

La collaboration avec Istomin chez Columbia

Oppenheim (au premier plan) dans le studio de Columbia

Oppenheim (au premier plan) dans le studio de Columbia

Lorsqu’il prit la responsabilité du catalogue classique de Columbia, David Oppenheim fit d’emblée confiance à Istomin, ce qui n’avait pas été le cas jusque-là. En dehors des enregistrements de musique de chambre réalisés avec Casals à Prades et à Perpignan, Columbia n’avait publié que deux disques en dix ans : le Concerto BWV 1052 de Bach avec Busch (des 78 tours de 1945 réédités en microsillon en 1950), et les Variations Haendel de Brahms (enregistrées en 1951, qui avaient été très bien accueillies mais qui étaient victimes du moindre succès du format 25 cm). Dès 1954, Oppenheim convainquit Istomin de s’investir complètement dans la préparation de ses disques, et même d’enregistrer, contrairement à ses grands principes, des œuvres qu’il n’avait pas eu vraiment le temps de roder au concert et de mûrir. Un programme fut établi : côté piano solo, l’intégrale des Nocturnes de Chopin, les Intermezzi opus 117 de Brahms pour compléter les Variations Haendel et relancer le disque en format 30 cm, 3 sonates de Beethoven ; côté concertos, le Deuxième de Rachmaninoff, l’Empereur de Beethoven, le Deuxième de Chopin, le Schumann et le Premier de Tchaikovsky. En l’espace de cinq années, cet ambitieux programme fut réalisé.

  1. Le départ d’Oppenheim en 1959 mit brutalement un terme à cette aventure. Les bandes des sonates de Beethoven furent abandonnées jusqu’à ce que Sony les publie en Les enregistrements prévus furent annulés. La carrière discographique d’Istomin fut ensuite quasiment cantonnée à l’activité du Trio Istomin-Stern-Rose. Dans les années 60, il y eut bien l’enregistrement de deux concertos (Brahms 2, Beethoven 4) et de la Sonate D. 850 de Schubert, mais qui ne firent l’objet d’aucune promotion et furent bien vite retirés des catalogues. C’était seulement une concession pour éviter qu’Istomin ne quitte Columbia et que ce départ mette en péril la poursuite des enregistrements du Trio Istomin-Stern-Rose, un des best-sellers de la compagnie. Avec le recul de trente années, David Oppenheim continuait de considérer que cela avait été un immense gâchis pour Columbia et pour Istomin, et une manifestation de plus de l’incompétence et du cynisme qui régnaient et qui l’avaient conduit à démissionner.

(Propos recueillis par Bernard Meillat à New York en 1987)