Cet article, publié dans Musical America, repose en bonne partie sur une interview de Marta et de Eugene Istomin et présente de façon très synthétique le projet et ses perspectives.

MEXICO n’est pas vraiment une destination de premier ordre sur la route des festivals, mais les événements qui viennent de se produire en octobre et novembre pourraient bien marquer le début d’un changement. Pendant plus de trois semaines, un voyageur dans cette capitale aurait trouvé un nouvel orchestre en résidence, une série de concerts avec l’Orchestre Symphonique de Londres, un défilé de chefs d’orchestre bien connus (Mehta, Semkow, Comissiona, Schneider, Torkanowsky, et Eduardo Mata, un enfant de Mexico, qui vient d’être nommé à Dallas) ; il aurait entendu des ensembles de premier ordre tels que le Quatuor Guarneri et le Trio Istomin-Stern-Rose, des solistes de haut-vol comme Pinchas Zukerman et Jess Thomas. Pour le moins, les premiers Concerts Internationaux Casals, qui ne se sont pas contentés de recruter des talents internationaux mais se sont donné beaucoup de peine pour mobiliser les musiciens mexicains et le public mexicain, ont rempli leur mission avec succès et n’ont nullement déçu. Dans le meilleur des cas, cela pourrait être l’étincelle qui donnera naissance à une célébration annuelle susceptible d’apporter un souffle nouveau aux activités musicales du pays, et de faire venir aussi un flot de visiteurs. En ce moment, il semble que tout cela dépende des Mexicains.

L’aide des Istomin

Eugene et Marta Istomin en 1976, photo de l’article

Eugene et Marta Istomin en 1976, photo de l’article

Que la prochaine étape incombe à l’ensemble des citoyens de ce pays était parfaitement clair pour les deux personnes qui ont donné à ce festival particulier sa forme et son caractère, Eugene Istomin et son épouse, Marta Casals Istomin. Les Istomin sont naturellement incontournables pour l’organisation de tout ce qui porte le nom de Pablo Casals, mais leur rôle est loin d’être honorifique : ils rendent des services inestimables, leur soutien aide énormément pour la recherche de mécénat, et leurs liens professionnels ont assurément beaucoup facilité l’engagement des solistes. Mais Eugene Istomin, qui était le directeur artistique des Primeras Jornadas Internacionales Casals, et Marta (la présidente d’honneur) ne cherchaient pas ici un poste – et ils n’ont reçu aucune compensation financière. Ils ont assez à faire avec le Festival Casals de Porto Rico – et ici ils n’ont pas navigué sur une mer calme, comme les lecteurs de ce magazine le devinent bien. L’idée des Jornadas venait du président du Mexique, Luis Echeverria (dont le mandat s’est achevé en décembre) – ou pour remonter une étape plus en amont, elle a jailli d’une suggestion de Henry Raymont, journaliste et écrivain américain, un vieil ami des Istomin et un homme de confiance d’Echeverria. Puisque Pablo Casals avait participé à la vie musicale mexicaine et avait donné la première de son oratorio, El Pessebre, ici en 1959, un festival en son honneur, qui commencerait en 1976, l’année de son centième anniversaire, a été considéré comme tout à fait opportun. Au début, Echeverria a espéré que les Istomin pourraient transférer leur soutien de l’actuel Festival Casals de San Juan à celui de Mexico. Ils ont décliné la proposition, et ils ont pris soin de souligner que les deux événements étaient tout à fait distincts – le projet de Mexico évitant même l’utilisation du mot « festival » dans son titre, pour bien souligner la différence. Cependant les Istomin étaient disposés à entrer dans le projet d’hommage à Casals « à condition », dit fermement Eugene Istomin, « que ce soit une nouvelle chose, et qu’elle soit conçue pour aider au développement de la vie musicale du Mexique ».

La participation mexicaine

Le Palais des Beaux-Arts de Mexico

Le Palais des Beaux-Arts de Mexico

Cette condition a été remplie en de nombreux points. Eduardo Mata, un Mexicain, a été nommé chef d’orchestre principal et directeur technique. Un orchestre du festival a été formé, s’appuyant sur les musiciens les plus compétents des divers orchestres mexicains (Mexico, Vera Cruz, Jalapa, Guadalupe, Toluca), renforcés par quelques instrumentistes étrangers (environ vingt-cinq pour cent). Les salaires mexicains ont été augmentés pour correspondre aux cachets payés aux étrangers. L’ensemble était fier de s’appeler l’Orquesta Pablo Casals de Mexico – le seul orchestre à porter le nom du maestro depuis celui qu’il avait fondé lui-même à Barcelone en 1919. En plus des nombreux concerts à Mexico, sous la direction de Mata et des chefs d’orchestre invités, il a donné cinq concerts en province pendant que l’Orchestre Symphonique de Londres était dans la capitale. Et, dans ce qui était sans doute l’initiative d’ouverture la plus large, la direction du festival a veillé à ce que les programmes soient retransmis dans tout le pays par la radio et par la télévision – une diffusion dans quarante-neuf villes, pouvant atteindre environ deux millions de personnes. De façon très compréhensible, les responsables de la télévision de Mexico, peu accoutumés à la captation de concerts, ont déclaré qu’ils n’étaient pas prêts à une entreprise d’une telle envergure. Pour assurer la meilleure réalisation possible, le festival a fait venir un réalisateur new yorkais, lauréat de nombreux prix, Allen Miller. Il a passé six semaines au Mexique avant le festival pour former les équipes de TV, et il a supervisé la production pendant la série de concerts. Les dépenses du festival ont été couvertes par trois sources de revenu : un tiers par la subvention du gouvernement, un tiers par le mécénat privé, un tiers par les recettes de la billetterie.

l’Eglise de Tepozotlan

l’Eglise de Tepozotlan

Tout cela a permis de monter trois semaines enthousiasmantes. Des concerts se sont déroulés dans le Palais des Beaux-Arts quelque peu délabré – toute la splendeur napoléonienne à l’extérieur et la décadence art-déco à l’intérieur – et ont été donnés une seconde fois dans le Théâtre Métropolitain, une salle de cinéma de trois mille cinq cents places, où les gens ont fait la queue pour avoir des billets dont les tarifs étaient très bas. Un des concerts du Quatuor Guarneri a eu pour cadre l’intérieur rococo, éblouissant d’or lumineux, d’une église jésuite restaurée à Tepozotlan, à une heure de route de la ville. Le répertoire du festival (qui a fui les compositeurs mexicains comme s’ils avaient la peste – une question qui mériterait d’être reconsidérée à l’avenir) était dense et raisonnable – une Quatrième de Mahler avec l’Orchestre Pablo Casals sous la direction de Mata, le Concerto pour violon de Brahms avec Stern, des extraits de Wagner avec Jess Thomas, un programme tout-Beethoven et un tout-Tchaïkovsky par le LSO, avec respectivement Istomin et Zukerman comme solistes.

Mata : une baguette ferme

Le chef d’orchestre mexicain Eduardo Mata

Le chef d’orchestre mexicain Eduardo Mata

Pendant mon séjour à Mexico j’ai entendu une interprétation pleine de douceur, mais à l’architecture un peu floue, de l’opus 59 n° 1 de Beethoven par le Quatuor Guarneri, suivi d’un Concertino de Stravinsky d’une séduisante fluidité. Au Palais des Beaux-Arts, j’ai entendu l’Orchestre Pablo Casals sous la direction de Mata dans la Symphonie de psaumes de Stravinsky et dans la Grande Messe en ut mineur de Mozart avec, en solistes, Heather Harper, Benita Valente, Michael Best et Gary Kendall. L’orchestre, sous la baguette ferme de Mata, a fait une bonne impression et les chanteurs, particulièrement Mesdames Harper et Valente, étaient magnifiques. Deux chœurs (de l’Ecole de musique nationale de Mexico et le Chœur d’Enfants de Puebla) ont fait de leur mieux, sans grande réussite. Personne, cependant, n’a songé à regretter leur participation au festival. S’ils avaient plus souvent l’occasion de se produire à un tel niveau, il n’y a pas de doute qu’ils progresseraient. Après tout, c’est le genre de participation locale que Eugene Istomin avait en tête.

Les Istomin n’ont pas encore pris de décision quant à leur participation à l’avenir de cette initiative. « Nous ne voulons pas institutionnaliser notre rôle », assure Istomin. « Inciter nos amis à venir, c’est possible pour un moment. Mais je suis dans les bonnes années de ma vie et je suis un musicien. Je préfère m’exprimer avec mon piano. Au moins cette année a été une injection – une piqûre hypodermique de haute qualité. Les Mexicains doivent poursuivre. Quant à la question de savoir si l’événement gardera le nom de Casals, je ne suis pas en mesure de le dire. Un festival Casals doit s’accorder à sa vision, et cela pourrait ne pas convenir aux gens d’ici. En tout cas les Mexicains ont l’occasion d’en faire le premier festival de musique international en Amérique latine. » Bien que personne ne l’ait dit clairement, l’intérêt et le soutien du nouveau président du Mexique, Jose Lopez Portillo, auront un impact essentiel sur les futurs projets.

Shirley Fleming (traduction Bernard Meillat)

Shirley Fleming (1929-2005) était une critique musicale américaine, qui fut la rédactrice en chef de Musical America de 1967 à 1991 et écrivit dans le New York Post de 1978 à 2005.

Document

Beethoven, Symphonie n° 7. Orchestre Symphonique de Londres, Eduardo Mata. Concert filmé par la télévision mexicaine pendant les Primeras Jornadas Internacionales Casals. 10 ou 11 novembre 1976